Réforme fiscale: Le scepticisme de certains patrons camerounais

Ils ont fait part de leurs préoccupations au directeur général des impôts lors d’une rencontre à Douala

Vendredi 18 février dernier, au siège du groupement interpatronnal du Cameroun (GICAM), s’est tenu le traditionnel diner-débat trimestriel. Au centre des échanges, la réforme fiscale. 2011 a en effet marqué l’entrée en vigueur des dispositions d’une nouvelle réforme fiscale au Cameroun, reforme amorcée et préparée depuis 2009. L’idée de cette réforme est née lors de d’une commission interministérielle élargie au secteur privé tenue en 2008. Sorte d’états généraux de l’économie, elle mettait face à face le gouvernement et les organisations du secteur privé et de la société civile. Les milieux d’affaires avaient alors soulevé des plaintes sur trois aspects de la fiscalité camerounaise : les taux jugés aussi élevés que fluctuants, la lourdeur administrative et une politique de recouvrement qualifiée de harcèlement et manque d’égard à l’endroit des opérateurs économiques par les fonctionnaires des impôts. C’est à peu près sur ces trois aspects que le directeur général des impôts, prenant la parole pour donner la position de l’administration, a présenté les points de la réforme. Trois types de mesures ont été introduits dans la loi fiscale 2011. Les mesures de simplification des procédures et d’amélioration du climat des affaires, celle visant l’élargissement de l’assiette et de sécurisation des recettes fiscales et enfin les mesures de rationalisation de la fiscalité incitative. Sur le premiers point, l’administration répond à une critique qui lui est constamment faite de perdre trop de temps aux contribuables. Le deuxième point de la réforme a essayé d’apporter une solution dite innovante à un vieux problème. Depuis de nombreuses années, les gros contribuables ont toujours eu l’impression qu’ils faisaient l’objet des injustices, obligés parce que mieux structurés, de payer des impôts, alors que dans l’informel existent des milliers d’entreprises, qui échappent à toute obligation fiscale. Dans le même cadre, mais pour la sécurisation des recettes fiscales, le gouvernement a restauré les retenues à la source par certaines entreprises de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Pour ce qui est de la rationalisation de la fiscalité incitative, l’Etat a choisi de supprimer les avantages donnés aux entreprises investissant dans la zone franche.

Risques de diminution des investissements
Prenant la parole a sont tour, Guy Tchente expert fiscal agrée et représentant les intérêts des entreprises, a relevé un certains nombre d’incohérences et de limites à la réforme. Pour sa part, l’idée d’élargissement de l’assiette fiscale n’est en soi pas mauvaise, mais ce sont les options d’applications choisies par le gouvernement qui posent problème. Sur la rationalisation de la fiscalité incitative par exemple, les patrons critiquent la suppression des avantages jusque là accordés par le code des investissements. Cette suppression en effet pose au moins deux problèmes, à savoir, d’une part le non respect par l’Etat de ses engagements et partant de sa signature. Lorsqu’on sait que le gouvernement camerounais se tourne de plus en plus vers son secteur privé, les risques de rupture de collaboration franche sont énormes, puisque l’Etat peut décider à tout moment de changer les règles du jeu. D’autre part, le sort réservé aux investissements programmés par les entreprises et les conséquences qui peuvent en résulter notamment aux plans économique et social sont incalculable. Désormais il sera question de savoir, si cette réforme sera profitable à l’Etat lorsqu’on aura évalué entre ce qu’il perd en recette fiscale d’une part et en perte d’investissements d’autre part. Le code des investissements se trouve vidé de sa substance et n’a plus de mesure incitative significative. Le drame, c’est l’applicabilité de cette suppression aux agréments déjà accordés dont les cahiers de charge sont en cours d’exécution a rappelé Guy Honore Tchente, un des orateurs de la soirée, qui propose pour sa part qu’on puisse adopter des codes sectoriels par activité économique. Il s’agit d’un mauvais signal en direction des investisseurs et il est pour le moins paradoxal que de telles mesures interviennent dans un contexte où toute la stratégie mais aussi la politique de l’Etat ont comme dénominateur commun l’amélioration de l’environnement des affaires, laquelle amélioration conditionne fortement l’atteinte des objectifs de croissance et d’emploi a fait pour sa part remarquer Olivier Behle le patron du GICAM.

Alfred Bagueka Assobo, directeur général des impôts au Cameroun
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Reformer les agents des impôts et les parlementaires sur la question fiscale
D’autres limites ont aussi été soulevées lors des échanges. Des remarques faisant étant de l’instauration de double paiement, notamment sur la TVA et les charges immobilières. Critiqué aussi, l’application d’un taux de 5,5% sur les rémunérations de certaines prestations de service. La circulaire du ministre a sorti une liste restrictive, les fiscalistes eux pensent qu’il faudrait étendre cela à plus de services encore. Sur les retenues à la source (RAS) de la TVA, les fiscalistes font aussi remarquer que les critères d’éligibilité n’ont pas été clairement fixés. D’un autre côté, selon la réforme, la rétention de la TVA à la source est assujettie à la présentation d’une attestation de retenue. Une mesure jugée discriminatoire. La logique selon les fiscalistes voudrait que dès lors qu’une société a fait l’objet d’une retenue, qu’elle puisse exercer automatiquement la retenue à ses clients. Une autre solution aurait été aussi d’inscrire toutes les grandes entreprises dans la liste de celles habilitées à retenir la TVA. En cas de manquement, la sanction serait de suspendre temporairement ou définitivement de cette liste. Le directeur des impôts reprenant la parole a reconnu la pertinence de nombreuses remarques effectuées sur la réforme. Cependant a-t-il précisé, Il y a des choses qui dépendent de mon administration, je peux en répondre, et d’autre qui dépendent d’autres instances. Aujourd’hui c’est toute la capacité de l’administration fiscale à faire de l’impôt un outil de développement, qui est remise en cause. Une bonne réforme a affirmé Mathieu Delouvrier, un des experts intervenant sur l’élargissement de l’assiette fiscale, passe nécessairement par la formation de ces agents. Mais à cela, il faudrait aussi ajouter l’organisation des séminaires à l’endroit des parlementaires appelés à adopter les lois de finances. Leurs responsabilités qui est très souvent grande, est rarement mise en évidence.

Faire de l’impôt, un outil du développement… Vaste chantier
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Cameroun: Interview de Alfred Bagueka Assobo, directeur général des impôts

«Même si le gros des contribuables relève de ce régime, ce n’est pas forcement avec l’impôt libératoire que nous réalisons des résultats»

Qu’est ce qui justifie votre présence à Douala ce jour ?
Je suis venu à Douala qui reste quand même l’un des centres les plus importants en matière de mobilisation des recettes budgétaires en ce qui concerne la direction générale des impôts. Je suis donc venu assister à la réunion de lancement des activités pour l’exercice 2011, c’était aussi l’occasion de faire le point de l’exercice 2010 et il fallait voir les stratégies mises sur pied pour être à la hauteur en termes de mobilisation des recettes en 2011.

Quel est le constat que vous avez fait ?
Après avoir connu quelques difficultés, le centre régional d’impôts littoral 1 (Crl1) depuis 5 à 6 mois s’est beaucoup amélioré en termes de mobilisation des recettes, nous avons connu ici à Douala une réforme très importante dite réforme des centres pilotes, il a été mis à partir de mars deux centres pilotes, un à Akwa qui fusionnait en réalité 11 centres divisionnaires. En décembre 2010 nous sommes largement satisfait de cette réforme, en effet ce centre atteint désormais les objectifs qui étaient ceux de la fusion.

Quelles sont les recommandations pour 2011 ?
Cette année la direction générale des impôts à des objectifs en termes de mobilisation de recette de près de 1002 milliards de FCFA pour les recettes non pétrolières et si nous y ajoutons les recettes pétrolières 1089 milliards de FCFA. Le Crl1 doit recouvrer environ 70 milliards de FCFA par an soit sensiblement 6 milliards de FCFA par mois, la bonne nouvelle c’est qu’au cours de ce mois de janvier le Crl1 a rempli son contrat ce qui laisse augurer d’un très bon exercice budgétaire ce d’autant plus que les performances de janvier font suite à des performances qui étaient déjà bonnes au cours des trois derniers mois. La recommandation est donc de dire à nos collaborateurs vous pouvez encore faire mieux, des marges de progression existent nous venons de le constater avec les centres pilotes, il s’agit de faire des efforts en matière d’élargissement de l’assiette fiscale pour que nous réalisons les objectifs et pourquoi pas les dépasser.

La loi de finances décharge votre administration de certains impôts au profit des communes comment comptez-vous vous réajuster ?
J’aimerai d’abord dire que l’administration fiscale ne peut pas se contenter uniquement de l’impôt libératoire, nous aimerions qu’à la limite nous nous concentrions sur des impôts à plus forte valeur ajoutée, même si le gros des contribuables relève de ce régime. Il faut savoir que ce n’est pas forcement avec l’impôt libératoire que nous réalisons des résultats. Comme vous le savez avec la décentralisation l’impôt libératoire est directement affecté aux communes et aux collectivités décentralisées, sachez néanmoins qu’il n’y a pas de querelle c’est une question de concertation, de collaboration et de compréhension, les services des impôts ont le métier c’est certain, ils ont également l’arsenal juridique et tout le nécessaire pour recouvrer. Nous pouvons penser que les communes seront toujours à nos cotés parce que je le dis en toute connaissance de cause les impôts vont toujours mieux recouvrer que les collectivités locales, il suffit que nous soyons associés, que nous collaborions, que nous nous concertions plus pour que les agents des différentes collectivités qui sont plus proches des contribuables nous aident à recouvrer et forcement la réaffectation sera faite. Pour finir avec cette question nous avons donné des instructions au Chef régional du centre des impôts pour qu’il rencontre les maires et les exécutifs communaux dans les meilleurs délais pour la mise en uvre de cette nouvelle approche.

Quelle peut à ce jour être l’évaluation réelle que vous faites de vos collaborateurs?
Vous touchez là le point important de ma descente à Douala car je suis venu sur instruction du ministre des finances évaluer les performances des personnels du Crl1 par rapport aux objectifs qui leur ont été fixés, je vous ai dis tout à l’heure que pour le mois de janvier les performances sont bonnes. Pour arriver à cette conclusions nous avions mis sur pied l’outil par excellence de pilotage et de management des ressources, c’est ce que nous appelons la (DPO) direction par objectifs, elle nous permet d’évaluer nos collaborateurs au jour le jour et chaque mois sur la base des missions assignées et de suivre la mise en uvre de leurs objectifs. Cet outil a fait ses preuves il a dix ans nous en sommes fiers et nous l’améliorons régulièrement pour un meilleur rendement.

Alfred Bagueka Assobo, directeur général des impôts au Cameroun
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Cameroun: Le directeur général des impôts à la rencontre des opérateurs économiques

Alfred Bagueka Assobo est allé écouter les hommes d’affaires de Douala

Pour la première descente du nouveau directeur des impôts dans la capitale économique Douala, le discours des patrons d’entreprises est resté constant. De manière générale, il revendique l’allègement des charges fiscales. Cette position du GICAM et autres syndicaux patronaux n’a réellement pas surpris. L’an dernier dans un mémorandum adressé au gouvernement, Le GICAM concluait que « l’environnement fiscal reste trop pesant pour la promotion de l’investissement et des affaires et toutes les promesses du gouvernement de réduire les impôts restent et demeurent des bonnes intentions ». Dans un environnement de crise économique internationale, la pression des patrons camerounais est encore plus forte.

Pour olivier Behle secrétaire exécutif du GICAM, La crise économique qui s’est répercuté sur l’économie a eu un impact sur la consommation. Il suggère que soit procédé à un allègement des charges fiscales sur les plus petits revenus afin de relancer la consommation. Le GICAM a aussi proposé que soit poursuivie la réalisation des projets structurants, l’allègement des procédures et le coût de création des entreprises, la nécessité de rendre effective les incitations fiscales et la promotion et le soutien des Pme. Pour Guy Honoré Tchuente du GICAM, de tels objectifs peuvent être atteints par la multiplication des guichets uniques de création d’entreprises, la suppression des droits d’enregistrement sur la constitution du capital.

D’autres groupements ont fait part de leur préoccupation à l’exemple du Syndicat des industriels du Cameroun (Syndustricam), qui lui préconise la suppression de la règle de décalage d’un mois en matière de déduction de la Tva sur les investissements, la formalisation de l’application de la réduction à 5% des droits de droits de douanes sur les biens destinés à l’investissement, l’institution de la facture normalisée. L’association des sociétés d’assurances du Cameroun (Asac), quant à elle s’est focalisée sur la défiscalisation des transferts faits pour la réassurance, le problème d’application de la taxe spéciale sur les revenus (Tsr), les indemnités de fin de carrière et la défiscalisation des mandataires non salariés.

Pour le Groupement professionnel de pétrole (Gpp) et de l’Oncfc, l’accent a été placé sur l’égalité des marqueteurs devant l’impôt, le paiement du crédit Tva, l’application de la loi sur les précomptes appliqués aux gérants propriétaires de produits vendus, le suivi des contrôles fiscaux, la refonte des régimes d’imposition, la modification profonde de la grille de l’impôt libératoire.

Toutes ces propositions sont recueillies par le Directeur des impôts a déclaré par la suite Je suis venu vous écouter, écouter les membres de toutes les corporations. Nous n’aurons pas forcément des réponses ce jour. Après cette rencontre, nous allons organiser d’autres séances moins élargies pour faire le point. Pour les observateurs, cette visite aura été aigre en utilité. Aujourd’hui le DG des impôts n’a pas besoin de se rendre à Douala pour se rendre compte des difficultés rencontrées par les entreprises avec la fiscalité. D’un autre coté des experts estiment qu’avec la baisses des exportations et de son impact sur les recettes, l’État n’a d’autres alternatives que de se cramponner à sa principale source de revenu, les impôts. le Dg des Impôts a rassuré avoir pris bonne note et que les concertations se poursuivront, notamment dans le cadre de la préparation de la loi de finance 2010.


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