Polémique de l’Ucac: L’avis de Joseph Bomda, psychosociologue

La stigmatisation potentiellement belliqueuse et criminogène au Cameroun doit-elle désormais s’appuyer sur les responsables de l’église catholique romaine?

Dans une récente lettre qui a fuité, le Grand chancelier a provoqué une polémique autour de laquelle trop de choses sont dites et seront encore dites. Une mauvaise économie du texte voudrait qu’on se limite au fait qu’il souhaite que les Bamiléké, étudiants comme enseignants, ne soient plus aussi trop représentés à l’Université Catholique d’Afrique Centrale (UCAC). Il appelle à la vigilance des responsables d’une des trois facultés de l’UCAC, la faculté des sciences sociales et de gestion, pour que les Bamiléké n’y soient plus aussi nombreux. Malicieusement, un Jésuite, Ludovic Lado, vice-doyen de cette faculté, est incriminé pour complicité de fraude et de faux (insignes sur les copies d’examen, fausses attestations.). A la lecture de la lettre du Grand chancelier de l’UCAC, l’Archevêque de Yaoundé Mgr Tonye Bakot, de la pertinente réponse de Ludovic Lado (sj) malicieusement incriminé et des explications du premier paru dans Cameroun Tribune du 23 juillet 2012, j’en arrive à me demander ce sur quoi l’Archevêque compte pour permettre au Cameroun de se développer, d’être émergent à l’horizon 2035. Le mérite? La justice sociale sous le couvert d’une équité qui étoufferait le mérite et promouvrait la faiblesse, l’inertie, l’assistanat, la paresse et l’attentisme? La stigmatisation potentiellement belliqueuse et criminogène au Cameroun doit-elle désormais s’appuyer sur les responsables de l’église catholique romaine ?

Inutile de revenir sur le contenu des propos de Mgr Tonye Bakot. Plusieurs développements en sont faits sur la toile (Internet). Cependant, on constate une chose: sans le dire (ou sans le savoir, le doute étant permis), l’homme de Dieu a par sa lettre conforté une vision sociale potentiellement sociogène. Il a donné à certains Bamiléké qui sont prompts à se considérer comme les souffre-douleur de la République une raison de plus pour mieux se plaindre (obsession du complot interminable). Il a donné à certains Bamiléké de continuer à flatter leur égo (le narcissisme) et de se croire au dessus des autres. Ce faisant, il aura pour ce deuxième cas de figure donné lieu à certains de vivre (ou de raviver) la frustration, terreau adéquat de la violence quand l’occasion s’y prête. C’est dire l’imbroglio dans lequel les propos de l’archevêque pourraient le placer s’il prenait la peine de considérer la densité des propos et écrits qui paraîtront dans les jours à venir et qui ont déjà commencé. Mgr Tonye Bakot parle, dans ses explications parues dans Cameroun Tribune, de l’équité et du devoir des évêques d’être au service de tous les enfants de Dieu. Rien de plus normal ! La devise de l’UCAC n’est-elle pas : au service de la vérité et de la justice ? On peut cependant constater qu’il se dédouane de la gravité de ses propos et de leur incidence éventuelle (non souhaitable) en faisant porter le chapeau au Conseil de l’UCAC qui lui aurait instruit de dire ce qu’il a dit. En d’autres termes, le mandant l’aurait induit en erreur, lui un messager innocent et ignorant qui ne s’est pas soucier du contenu du message porté. En tant que mandataire, il est irresponsable ! Curieux non ? Qui peut être bête pour croire à ça ? Qui peut croire qu’en tant que Grand chancelier, il n’est pas eu le pouvoir d’éveiller l’attention des membres du Conseil sur le revers de leur doléance ? Au moins deux questions confortent le doute que font émerger ses explications :
1- L’UCAC est sous régionale (Afrique centrale). N’aurait-il pas été indiqué pour le Grand chancelier de parler de la représentativité, de sa « justice » et de son « équité » en partant du nombre d’étudiants et d’enseignants des différents pays membres de l’UCAC ?
2- L’UCAC compte plusieurs facultés et écoles : une Faculté de théologie, une Faculté de philosophie, un département de droit canonique affiliée à la Faculté de Paris et Une Faculté de sciences sociales et de gestion, ISTAC, Ecole des sciences de la santé. N’aurait-il pas été indiqué pour Mgr Tonye Bakot de partir d’une approche comparative des statistiques dans les autres facultés et grandes écoles (par pays membre de l’UCAC et par tribu) pour arriver à sa conclusion qui incrimine et discrimine la seule faculté ou un bamiléké se trouve être un vice-doyen ?

Sans revenir sur la sagesse du contenu de la réponse de Lado (sj), si Mgr Bakot n’était que porteur d’une doléance du conseil de l’UCAC, pourquoi ne pas avoir demandé un audit externe sur les faits relevés ? Pourquoi n’avoir pas interpellé le recteur directement quid à lui, dans la logique administrative, d’interpeller à son tour son collaborateur ? D’emblée, tout semble avoir été conçu pour stigmatiser et dénoncer un groupe (voir les statistiques sur le calcul du pourcentage des enseignants. On ne sait par quelle alchimie l’Archevêque en arrive à passer de 9% à 31% pour ce qui est des Bamiléké !) Plus encore, les propos hâtifs et sans approche véritablement scientifique de Mgr Tonye Bakot confortent l’idée que l’homme de Dieu s’est laissé guider par une logique populiste de stigmatisation d’un groupe et d’autoglorification d’un groupe, les Bamiléké. Disciple de Jean Lamberton ? Ce français qui déclarait : « Le Cameroun s’engage sur les chemins de l’indépendance avec, dans sa chaussure, un caillou bien gênant. Ce caillou, c’est la présence d’une minorité ethnique: Les Bamiléké, en proie à des convulsions dont l’origine ni les causes ne sont claires pour personne. ce peuple est étranger au Cameroun.» (Extrait de la Revue Française de la défense, 1960 pp161-176.)

Oui pour la justice et l’équité mais jusqu’où et comment ?
On se serait attendu à ce que le Conseil de l’UCAC vers qui Mgr Tonye Bakot renvoie la responsabilité de sa lettre se préoccupe du nombre d’handicapés, du nombre d’enfants affectés économiquement et socialement par la situation sanitaire de leurs parents (enfants de malades mentaux, d’handicapés physiques et mentaux, de malade de SIDA etc). On ne peut pas croire que le prélat souhaite qu’un Bamiléké échoue l’entrée à l’UCAC avec une forte note alors qu’au nom de la représentativité on permet à un enfant d’une autre ethnie de réussir avec une faible note alors que socialement il n’est ni l’enfant d’un handicapé ni celui d’un nécessiteux. La politique de la représentativité devrait-elle être au service de la promotion de l’injustice ? Que non ! Plus de 50 ans après l’indépendance nationale, la logique de la représentativité à l’entrée des grandes écoles et universités camerounaises est un aveu de l’échec du système gouvernant. L’église catholique romaine ne doit pas se prêter à ce jeu. Plutôt, elle doit amener les responsables publics à identifier pourquoi certaines zones au Cameroun sont demeurées endémiquement zones d’éducation prioritaire depuis plus d’un demi-siècle ? Au besoin elle doit être de l’entreprise destinée à identifier et à solutionner la problématique de la sous-scolarisation et du décrochage scolaire dans les zones éhontement dites d’éducation prioritaire après plus de 50 ans d’initiatives gouvernementales. Faire l’apologie de la représentativité au nom d’une équité et d’une justice sociale hypocrites est une forme de complicité quant à la promotion de la médiocrité.

Le débat est ailleurs. Celui qui sème doit récolter à la hauteur de ses efforts (voir la fable la cigale et la fourmi). Celui qui n’a pas semé ne peut être aidé que s’il est avéré qu’il est (ou a été) dans l’incapacité humainement insurmontable de le faire. C’est ça la justice ! C’est ça l’équité. Ce n’est qu’ainsi que l’on obligera les uns et les autres à se mettre au travail. Vouloir faire autrement et dans le sens que Mgr Tonye Bakot voudrait faire croire être le fait du Conseil de l’UCAC ne grandira pas la compétitivité des produits de l’UCAC. Évitons de fabriqué des assistés. Le Cameroun, comme toute l’Afrique entière, a besoin d’une main d’?uvre compétente et compétitive. Pour cela le culte du mérite doit être promu.
Chacun doit apprendre à manger à la sueur de son front. Ce principe n’est pas à négocier quand le Bon Dieu ne nous a pas privé de nos potentialités physiques et mentales.

Joseph Bombda, psychosociologue