Achille Mbembe: appel à un mouvement international pour braquer la lumière du monde sur le sort des captifs du Cameroun

Par Achille Mbembe, universitaire, écrivain

 

Alors que partout ailleurs il semble évoluer à une vitesse accélérée, le temps s’est littéralement arrêté au Cameroun.

Inventé il n’y a pas longtemps par les Allemands, puis administré pendant près d’une quarantaine d’années par les Français et les Anglais, cette contrée d’une richesse insondable est tombée sous la coupe de tyrans locaux depuis 1958.

Pendant ce temps, le peuple, frappé d’ankylose, se vautre dans la boue et se gave de sa propre bêtise et de sa lâcheté. Tournant le dos à la dignité, il a opté pour le tribalisme. Il attend que que quelqu’un vienne le sauver à sa place. Fausse conscience? Calcul intéressé? Bienheureux celui ou celle qui pourra déchiffrer l’énigme et démonter les ressorts de cette monstrueuse abdication.

Comme plusieurs autres, « j’en ai marre » et souhaiterais être loin de tout cela. De cette spirale démoniaque. Très loin de la puanteur. Ecrire mes livres. Apporter ma petite contribution à l’éveil de l’Afrique là où celle-ci est sollicitée. Vivre ma petite vie avant de m’éclipser à mon tour, comme tous ceux et toutes celles qui sont parties avant nous. Le Cameroun a refusé de renouveler mon passeport camerounais. Il cherche a me déchoir de ma nationalité. Mais au lieu de se débarrasser franchement de moi, il ne me lâche pas. Il me suit partout et me colle sur la peau comme une part damnée.

Ce matin encore [mardi 06 octobre 2020, NDLR], comme cela est arrivé un certain nombre de fois dans le passé et comme cela arrive de plus en plus régulièrement, je reçois un autre appel en faveur d’un autre prisonnier détenu sans procès dans les geôles d’un régime sous lequel la prison est devenue une condition. Et chaque citoyen africain un captif potentiel.

Je ne suis ni un militant, ni un activiste. Et je n’ai aucune vocation à en devenir un, ou à faire de la politique un métier. Mon champ d’action, c’est l’écriture et la réflexion. J’ai consacré tout un chapitre de mon dernier livre, BRUTALISME (La communauté des captifs) à tous les prisonniers camerounais qui, depuis quelques années, frappent régulièrement à ma porte, je ne sais pourquoi. Et ils sont très nombreux. De plus en plus nombreux.

Un seul individu ne peut pas s’occuper de toutes ces causes. Elles ne sont pas individuelles. Elles sont politiques. Dans tous les mouvements de résistance, le passage par la prison a toujours été un moment-clé du « cycle initiatique » qui mène a la libération. Encore faut-il qu’une communauté se forme et prenne en charge le fait de la captivité comme un élément décisif de la dynamique de libération.

Aux Camerounais et aux Camerounaises de bonne volonté, je voudrais donc poser une seule question. Est-il possible de faire corps et d’initier, ensemble, un vaste mouvement international, dont l’objectif unique serait de braquer toute la lumière du monde sur le sort des captifs de notre peuple?


  • De nationalité camerounaise, Achille Mbembe est professeur d’Histoire et de Sciences politiques à l’Université de Witwatersrand (Afrique du Sud).