Exilés en Arabie Saoudite, aucun traité d’extradition ne lie les deux pays
Il aura suffi d’une journée de procès. L’ex-président tunisien Ben Ali et son épouse Leïla Trabelsi ont été condamnés par contumace, le lundi 20 juin, à 35 ans de prison ferme chacun, dans un procès où ils étaient poursuivis pour détournement de fonds publics. Leur peine est également assortie d’une amende de 25 millions d’euros pour Monsieur et 20,5 millions d’euros pour Madame. Suite à la découverte d’importantes sommes d’argent et de bijoux de valeur dans un de leur palais. L’ancien président tunisien est, quant à lui, également accusé de détention d’armes et de stupéfiants. Si Ben Ali a nié en bloc toutes ses accusations, il sera toutefois jugé le 30 juin. La cour a décidé de reporter le second volet de son procès afin de laisser à ses quatre avocats, commis d’office, le temps de préparer leur stratégie de défense. Par ailleurs soupçonnés d’avoir commis des homicides volontaires ainsi que des actes de torture ou de trahison, le président en fuite et des membres de son entourage seront ensuite jugés par des juridictions militaires. Certains de ces chefs d’accusations sont passibles de la peine de mort. Tout au long de la journée, le procès du couple Ben Ali n’a pas suscité la passion chez les Tunisiens.
Les charges
Consciencieusement, le juge énumère les détails de chacune des histoires qui ont fait la une des titres de la presse et animé les conversations ces cinq derniers mois: il s’agit de la découverte d’un coffre, derrière la vitre de la chambre du couple, actionnable uniquement par télécommande et garni de plusieurs millions d’euros, et de bijoux antiques retrouvés à Carthage. «Accaparement de fonds publics, détournement de l’argent public de son objet initial pour son propre compte ou le compte d’un tiers, de tous biens meubles ou immeubles, titres et valeurs appartenant à l’Etat, afin de porter atteinte à l’administration publique en plus du vol et du transfert illicite de devises étrangères; détention et usage de stupéfiants»: voilà énumérées quelques-unes des charges. Mais le spectacle a lieu dehors, dans le hall du tribunal, et ce sont les avocats qui jouent les premiers rôles. À force de cris et de rage, Mohammed Abidjan, avocat, attire à lui tout ce que le tribunal compte de télévisions: «Est-ce là l’indépendance de la justice que l’on nous promet? Hurle-t-il. Il n’y a pas de plaidoiries, pas d’argumentaire. Le gouvernement tunisien organise ce cirque pour faire plaisir aux gouvernements étrangers, pour faire bonne figure. Mais le peuple tunisien n’est pas dupe».

Aucun traité d’extradition ne liant Riyad et Tunis, on peut imaginer sans peine que Zine Ben Ali, 74 ans, et sa femme finiront tranquillement leurs jours dans leur cage dorée d’Arabie saoudite. Cette impunité exaspère sans doute les Tunisiens, qui, après l’euphorie du renversement du dictateur sous la pression populaire il y a cinq mois, affrontent aujourd’hui la dure réalité: Le tourisme est en crise, les débordements de la guerre en Libye voisine, l’afflux de réfugiés, l’Europe qui ferme ses portes, un Etat de droit et une Tunisie nouvelle à construire. La parole s’est libérée, la peur a disparu, mais l’ossature du système Ben Ali est encore là, incarnée par toute une classe d’apparatchiks qui n’ont aucune envie d’abandonner postes et privilèges. L’appareil judiciaire lui-même, qui juge aujourd’hui Ben Ali, n’a pas été renouvelé. Il y a de quoi nourrir impatience et frustrations. C’est aussi à ce souci, sans doute, que souhaitaient répondre les dirigeants de la transition tunisienne en organisant ce procès.
