Dire non au déclinisme intellectuel en Afrique

Par Michel Lobé Etamé, journaliste

L’espace médiatique et intellectuel africain s’est effacé ou du moins s’est mué dans un silence inquiétant au cours de la tentative de putsch au Burkina. Ce mutisme est la conséquence de la frilosité et du repli de nos penseurs nostalgiques de leurs rêves brisés. Mais il décrit aussi l’absence de vision et la pauvreté intellectuelle des politiques, de la société civile au moment où les institutions de certains états sont mises à rudes épreuves.

Cette crise trouve ses origines dans la gestion de nos états sclérosés par des chefs d’état qui ont perdu le sens de leur mission et des objectifs qu’ils se sont fixés en accédant au pouvoir. Il faut le rappeler, la croyance ou la foi dans le principe de l’effort récompensé a brisé beaucoup de rêves et d’ambitions.

La tendance est la même dans tous les pays africains. Le pessimisme et le recul de la pensée gagnent les esprits. Nous ne pensons plus par nous même. Chez les francophones, le constat est encore plus patent. Un discours fataliste s’est installé: ce que nous voulons, nous ne pouvons l’obtenir que si la France le veut. Le déclinisme intellectuel a mis le doute dans les esprits. Il est illustré par les déclarations du général Diendéré du Burkina lors de sa reddition, à la fin d’un parcours sans gloire: «le putsch est terminé, on en parle plus. Le plus grand tort a été d’avoir fait ce putsch».

Ce général, auteur du «coup d’état le plus bête du monde» est responsable de la mort de nombreux citoyens. Il n’a pas conscience de la gravité de son acte, des souffrances et des violences perpétrées par les militaires. Il doit être jugé et puni sévèrement.

Les pouvoirs en place sont conscients du déclinisme intellectuel en cours qui engendre la pauvreté de la pensée et la pauvreté matérielle qui engendrent la dépendance. Ils multiplient des efforts pour rationaliser les peurs et l’impuissance du citoyen. La jeunesse est tétanisée par l’hégémonie discursive de la classe politique au pouvoir. Elle choisit de se taire. Ce silence est un signe de désarroi coupable qui nous rend complice d’un système autocrate décrié. Il en découle une faillite intellectuelle et morale qui plonge les forces vives dans un sentiment d’inutilité.

Le déclinisme intellectuels est inquiétant. Il est à l’opposé de nos glorieux aînés qui ont lutté et sacrifié leur vie pour la liberté. Or cette liberté a été confisquée non par le colon, mais par les dirigeants après les indépendances. La liberté du citoyen est affectée par une course effrénée au matérialisme qui pousse les femmes et les hommes, quel que soit leur rang social, à tout mettre en uvre pour satisfaire un besoin ordinaire. Nous sommes ainsi poussés vers une tentation de repli. Ces comportements sonnent le glas de la pensée libre si chère aux indépendantistes des premières heures, ces héros que la jeunesse ignore et qui croupissent dans les tiroirs de notre histoire.

La croyance dans l’effort se perd. Elle est même rejetée par la classe politique. Elle est responsable des crises politiques, morales et identitaires. Les conséquences sont nombreuses. L’Afrique est sédentarisée dans un gouffre aux pentes abruptes. La culture traditionnelle, riche, variée et adaptée est évanescente. Une culture qui a été transmise de foyer en foyer, au clair de lune et dont les bases sont la solidarité, l’amour, le respect, l’union et l’effort.

Le véritable paradoxe que nous traversons est le rejet implicite de l’égalité dans la république. Ceux qui nous gouvernent jurent aimer leur pays et uvrer pour le progrès de tous. Or l’Afrique aujourd’hui est à la croisée des chemins. Faut-il rompre brutalement avec le néocolonialisme? Existe-t-il d’autres voies? Notre ennemi est-il notre prétendu ami? Voilà des questions qui nous interpellent et qui sont à l’origine de notre déclinisme intellectuel. Il faut oser poser ces questions et non pas les occulter. Elles doivent être débattues dans tout le continent si l’Afrique veut enfin sortir de la pénombre et convaincre nos chefs d’état à sortir par la grande porte à la fin de leur mandat.

Ce tableau funeste peut être contesté. C’est bien là l’essence de la diversité de la pensée. Mais il faut reconnaître que nos intellectuels ont un besoin mémoriel de leur appartenance, des valeurs sociales ancestrales qui portaient vers le droit et le devoir de tout individu. La posture victimaire que nous véhiculons ne trouve plus d’écho favorable face à une jeunesse impatiente, prête à briser ses chaînes comme au Burkina.

Il ne faut pas baisser les bras, mais plutôt s’indigner. L’avenir de l’Afrique s’écrit aujourd’hui avec sa jeunesse qui doit transformer l’espace intellectuel et politique en une tribune accessible à tous. Pour y arriver, nous devons adopter les principes de rigueur et d’éthique pour la réflexion et l’action.

Michel Lobé Etamé.
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