Cameroun-projet de fer Lobe-Kribi : le Dr Youmssi Bareja explique comment cette convention minière aurait dû être négociée

Cet expert en mines et pétrole fait quelques propositions qui auraient pu permettre au Cameroun de mieux marchander avec les Chinois de Sinostell dans le cadre du projet de fer de Lobe-Kribi.

Le Cameroun vient de signer une convention minière avec Sinosteel pour le développement du gisement de fer de Lobe. L’encre n’a pas fini de couler à propos. La convention dans sa consistance mérite pour le moins d’être analysée. Qu’est-ce qu’une convention minière ? C’est un contrat entre un État et une compagnie minière détentrice d’un permis de recherche qui a mis en évidence un gisement et a aussi démontré sa rentabilité.

La convention minière  est de plus en plus décriée par les compagnies minières, la société civile et l’ITIE (Initiative pour la transparence des industries  extractives ; le Cameroun en est membre); Et pour cause, ce document ouvre la voie à des pratiques de deux poids deux mesures. Les termes sont définis à la tête du client; bref la convention minière favorise la corruption.

Aujourd’hui, plusieurs pays africains, suite aux exigences des bailleurs de fonds, abandonnent l’option de la convention minière et préfèrent celle du code minier et son décret d’application dans lesquels tout est prévu et dans le détail. Ce procédé permet à toutes les compagnies, sans exception, d’avoir les mêmes obligations et les mêmes avantages. Donc, le Code minier camerounais, bien que promulgué en 2016 est déjà caduque et nécessite de toute urgence des amendements afin de faire du Cameroun une destination minière.

Aujourd’hui, nous avons sur la table une convention minière signée que nos spécialistes du ministère et de la SONAMINES ont tôt fait de brandir aux Camerounais comme le trophée du siècle dans l’industrie minière naissante du pays.

J’ai des questions pour nos chers « experts » en négociation des contrats et conventions minières:

Combien de fois dans vos vies avez-vous eu à négocier une convention minière sachant que le Cameroun, depuis son accession à l’indépendance n’a toujours aucune mine ?

Les techniques et habilités à la négociation des contrats et conventions minières s’acquièrent avec le temps et l’expérience et  s’obtiennent en fonction du nombre de contrats qu’on a eu à négocier dans sa carrière.

C’est comme dans l’aviation: l’expérience d’un pilote de ligne est fonction du nombre de KM volé.

Acceptez que vous soyez relativement nouveaux en matière de négociation des contrats miniers et admettez que des erreurs seront commises et pourront parfois être fatales pour le pays. Je vais, dans les lignes qui suivent, donner quelques points clés de la convention minière que j’aurai sécurisée pour l’Etat camerounais si j’avais été à votre place.

De prime abord, je tiens à souligner que j’ai participé à des négociations des contrats miniers dans les pays suivants : Inde, Yémen, Gabon, RDC, Zambie, Éthiopie, Guinée, Mozambique et Afrique du Sud etc….avec des multinationales ci-après :

2006-2008 : Je suis représentant du groupe minier russe « RÉNOVA » du milliardaire russe Victor Veckselberg en Afrique centrale (Gabon, RDC) avec résidence à Kinshasa.

2008-2013 : Je suis directeur de développement d’affaires et de la gestion du patrimoine minier Afrique-Moyen Orient et Asie du Groupe Brésilien, premier producteur mondial de fer « Vale », avec résidence à Johannesburg ;

2013-2017 : Je suis invité au Gabon dans le cadre de la mise en Œuvre du Plan Stratégique « Gabon Émergent » (PSGE) du président Ali Bongo; pour aider au développement du volet Mines. Ainsi, je suis nommé directeur de développement d’affaires et de la stratégie de la nouvelle compagnie nationale minière (Société équatoriale des mines-SEM)

2019 : Je suis le directeur régional du Développement d’affaires du Laboratoire d’analyses Géochimiques du groupe canadien « ALS Geochemistry  » avec résidence à Johannesburg.

Accordons-nous a priori sur une chose : Sinosteel n’a jamais découvert un gisement de fer au Cameroun. Le gisement de fer de la Lobe, anciennement appelé « gisement de fer des mamelles de Kribi » avait été découvert à l’époque coloniale.

Le permis de recherche sur la Lobe avait été attribué à Sinosteel Cameroun dans le seul but de confirmer les réserves qui étaient déjà connues.

Dans le monde des affaires minières, quand un Etat attribue un permis d’exploration dans une zone qui a déjà fait l’objet de la mise en évidence d’un gisement, le nouveau propriétaire, après avoir confirmé les réserves, s’il souhaite continuer en phase de développement du projet et exploitation est appelé à payer ce que nous appelons dans notre  jargon : « UN PAS DE PORTE » ou « BONUS DE SIGNATURE ».

Le pas de porte se calcule en fonction des substances et à un prix que chaque pays détermine.

1-Pour le cas du gisement de fer de la Lobe, j’aurai demandé à Sinosteel de payer à l’Etat camerounais après signature de la convention, un montant d’environ 5 dollars par tonne de minerais de fer prouvé ; ainsi, comme ils ont déclaré 650 millions de tonnes de minerais de fer à 33%, environ 200 millions de tonnes à 65% après enrichissement. Le calcul est simple, Sinosteel devrait verser près de 2 milliards de dollars (environ 1200 milliards de F cfa) à l’Etat camerounais avant d’obtenir le permis d’exploitation.

Ce que je vous dis ici a été fait en Guinée Conakry sur le fer de Simandou avec Rio Tinto, BHP et Vale ; au Gabon sur le fer de Belinga avec les Chinois de COMIBEL. Pourquoi le Cameroun n’a pas exigé un pas de porte ? Le fer de la Lobe est un patrimoine national et ne peut être octroyé aux Chinois à zéro franc, surtout que ce ne sont pas eux qui ont découvert ce gisement.

2-En ce qui concerne la participation de l’État camerounais dans ce projet, j’aurais demandé et obtenu 15% (free carry non diluable) dans le projet avec l’option d’acheter 20% du projet au prix du marché.

3- J’aurais négocié et obtenu que le DGA de Sinosteel soit toujours un Camerounais nommé par l’État camerounais.

4- J’aurais imposé un calendrier de développement du projet contraignant  aux Chinois (construction de la mine, construction du pipeline de 17 km, construction du port minéralier, construction de la centrale électrique).

5-J’aurais négocié et obtenu la mise sur pied d’un Fonds de développement communautaire à hauteur de 0,5% du chiffre d’affaire payable tous les mois dans un compte géré par les riverains de la zone touchée  par les activités minières.

6- J’aurais négocié et obtenu des Chinois une politique RSE claire et contraignante.

7- J’aurais négocié et obtenu des Chinois un plan de réhabilitation environnementale avant, pendant et après la mine, ainsi que la mise sur  pied d’un Fonds pour ces activités gérées par un organe indépendant.

8- J’aurais négocié et obtenu de faire du transfert de compétence une réalité dans le projet sur le principe de 10 Camerounais par Chinois. Donc, sur chaque Chinois qui arrive au Cameroun pour le projet, il faut recruter 10 Camerounais. Au fur et à mesure, réduire le nombre de Chinois dans le projet jusqu’à zéro Chinois après 15 ans.

9-J’aurais moi-même mis sur pied le model financier du projet (discount cash flow). C’est un document qui est considéré comme le tableau de bord financier du projet. Il permet de voir la rentabilité du projet sur une période donnée. Généralement, il se fait sur la durée du permis d’exploitation sur 20 ans et sur cette base, on peut facilement voir quand est ce qu’il faut commencer à diluer les Chinois du projet et nationaliser la mine au-delà de 30, voir 40 ans au plus tard ( on ne peut pas laisser les Chinois éternellement exploiter ce gisement).

10-J’aurais négocié et obtenu la clause sur le « windfall tax « . C’est une taxe qui est imputable aux compagnies qui font des super bénéfices. Personne ne sait ce que le prix du fer sera dans 5, 10 voir, 20 ans. Donc, cette taxe permettra au Cameroun de toujours profiter de ses ressources si d’aventure les prix venaient à flamber sur le marché et que la compagnie minière seraient en train de faire des super profits.

11- J’aurais négocié et obtenu de limiter la prorogation du permis d’exploitation de 10 ans seulement après la première expiration de 20 ans, donc au total 30 ans …..Le retour sur investissement d’un projet minier est de 10 à 15 ans.

12- J’aurais négocié et obtenu un financement du projet sur le ratio 50/50 (equity and loan); apport propre et prêts et obtenu des Chinois d’augmenter substantiellement le capital de Sinosteel Cameroun .Voyez-vous, en accordant un financement de 30/70 aux Chinois, nous leur donnons la possibilité d’endetter énormément le projet, ce qui aura les conséquences sur leurs bilans annuels.

13- J’aurais négocié et obtenu que l’argent levé sur les places boursières ou des prêts obtenus auprès des institutions financières sur le développement du fer de la Lobe avec notre titre minier soient directement virés dans les comptes de Sinosteel Cameroun, ceci pour barrer la route à tout détournement de ces fonds par les Chinois et de leurs partenaires camerounais.

14- J’aurais négocié et obtenu pour l’État camerounais ce que nous appelons « the right of first refusal  » ; c’est une clause qui oblige le partenaire, au cas où il veut vendre ses participations du projet ; de les proposer d’abord à l’Etat camerounais et ce n’est qu’après le refus de l’Etat camerounais de les acheter qu’il a la possibilité de chercher un repreneur à l’extérieur.

15-J’aurais négocié et obtenu une taxe sur la production « Royalties » de 2%

16- J’aurais négocié et obtenu de faire transformer au minimum 30% de minerais de fer en produit fini) ne pas confondre avec l’enrichissement ) sur place par les Chinois ; ce qui nécessitera pour Sinosteel de construire une usine métallurgique sur place à Kribi en plus des autres infrastructures du projet.

17- J’aurai inclus une clause sur les métaux de base et précieux interdisant leur  exploitation car la  convention signée est juste pour l exploitation du fer.

NB: pour rappel, le « pas de Porte  » est juste un droit d’entrée dans le projet. Ainsi, Sinosteel devra payer les taxes, les droits miniers, etc. comme l’indique le code minier ; l’État  camerounais, en tant que actionnaire à 15%, percevra en bonne et due forme les dividendes.

Tous les points développés ci-dessus permettent juste de montrer que, loin des généralités qu’on retrouve dans la convention minière signée, nos fonctionnaires du ministère et de la Sonamines pouvaient faire mieux que de laisser un grand boulevard et une grande marge de manœuvre aux Chinois qui pourraient faire des Camerounais des esclaves dans le projet et des riverains exposés à la dégradation environnementale au profit du développement économique de la Chine et un manque à gagner énorme pour notre pays.

La convention minière a des manquements qui pourront dans un avenir proche ou lointain, porter  préjudice au Cameroun et à nos enfants.

Je suggère la révision de cette convention minière tout en tenant compte des bonnes pratiques actuelles dans l’industrie minière et aussi de penser à mettre sur pied une convention minière type par groupe de substances non négociable qui sera juste remis aux futurs partenaires qui souhaiteraient développer des projets miniers au Cameroun pour signature.