Pr. Joseph Vincent Ntuda Ebodé: « La piraterie maritime est une menace pour la stabilité politique »

Le coordonnateur du Centre de recherches et d’études politiques et géostratégiques de l’université de Yaoundé II au Cameroun évoque le sujet

La piraterie maritime « a déjà entraîné une forte diminution de la fréquentation des ports de la zone », a précisé l’universitaire camerounais lors d’un symposium international tenu en prélude au sommet des chefs d’Etat et de gouvernements de l’Afrique centrale et de l’Ouest sur la sûreté et la sécurité maritimes dans le Golfe de Guinée ouvert lundi dans la capitale camerounaise. De surcroît, note Pr. Ntuda Ebodé, la piraterie maritime induit une augmentation des primes d’assurances des cargaisons, ainsi que des coûts supplémentaires pour les transporteurs obligés de s’attacher les services des sociétés de sécurité ou liés aux itinéraires rallongés pour échapper aux pirates et au versement de rançons.

Mais il n’y a pas que l’économie des pays pour pâtir de la piraterie maritime, qui impacte aussi sur leur stabilité politique. En raison de l’incapacité à contrôler leurs eaux territoriales ou à circonscrire l’activité de groupes rebelles en quête d’argent pour s’équiper et pouvoir faire entendre leurs revendications politiques, certains Etats sombrent dans une instabilité politique. Le cas le plus emblématique est celui du Mouvement pour la libération du Delta du Niger, qui multiplie attaques et enlèvements de personnes pour faire pression sur les groupes pétroliers et le gouvernement nigérian. Productrice de près de 40 % du pétrole consommé en Europe et 29 % de la consommation des Etats-Unis, la région du golfe de Guinée est propice aux luttes d’ «intérêt croissant des consommateurs internationaux, aux antagonismes étatiques et aux menées contestataires des populations riveraines»,estime Pr. Saibou Issa, autre universitaire camerounais. Ce qui, observe Pr. Ntuda Ebodé, conduit à une forte militarisation de la région par les forces étrangères, notamment des Etats-Unis qui ont signé des accords avec le Cameroun, le Gabon et la Guinée équatoriale en vue d’une utilisation ponctuelle de leurs installations aéroportuaires par les forces américaines.

Pr. Joseph Vincent Ntuda Ebodé, coordonnateur du Centre de recherches et d’études politiques et géostratégiques de l’université de Yaoundé II-Soa

Atteinte à la liberté de presse : Le journaliste Innocent Ebode est-il victime ?

Le journaliste parlant de sa reconduite à la frontière dit être la victime d’une machination.

Expulsion pour séjour irrégulier
Dans un communiqué rendu public par l’Agence France Presse, on a appris que dans l’après midi du 14 octobre dernier Innocent Ebode le rédacteur en chef de l’hebdomadaire privé La Voix, paraissant à N’Djamena(Tchad) a été conduit par les autorités tchadiennes dans la ville frontalière de Kousseri (extrême-nord), côté camerounais. On a ainsi appris que le matin de ce jour là, vers 8 heures, il avait été convoqué par les services des Renseignements généraux, à N’Djamena, puis emmené à la Surveillance du territoire où, après deux heures d’entretien en présence de ses deux avocats, on lui a fait comprendre qu’il était en « séjour irrégulier ». Interrogé sur la question, le journaliste a donné sa version des faits à la radio nationale. Je leur ai expliqué que j’avais perdu mon passeport et mon titre de séjour affirme-t-il.

Une machination orchestrée
Tant l’expulsion que le motif n’ont pas manqué de surprendre, le concerné en premier. Les raisons utilisées par les autorités pour me mettre à la porte ne tiennent pas la route. J’ai une carte consulaire, le Tchad et le Cameroun sont membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), je devrais donc pouvoir circuler et travailler librement indique Innocent Ebode qui croit voire dans cette situation, une mesure de répression à l’encontre de son organe de presse. Je reste convaincu que les vraies raisons de ma reconduite c’est que nos articles dérangent les autorités et elles ont voulu décapiter le journal.

Les publications du journal condamnées
Trois semaines auparavant, La Voix avait publié un article évoquant un probable départ du Premier ministre, Youssouf Saleh Abbas, et émettant des avis sur son éventuel successeur. Dans un communiqué, la présidence de la République a accusé le journal de viser à démobiliser l’administration. Un jour avant sa reconduite à la frontière, le journal a publié un article sur les dépenses militaires du Tchad. Les autorités camerounaises et tchadiennes n’ont pas souhaité se prononcer sur le sujet, qui visiblement incommode. Laurent Charles Boyomo Assala interrogé sur la question a choisi de jouer la carte de la prudence. Dans cette affaire on a parlé de reconduite à la frontière et non d’expulsion; ce n’est pas un simple jeu de mot; en droit les deux concepts représentent des situations différentes. On devrait se garder de se prononcer sur une affaire lorsqu’on ne possède pas les éléments de toutes les parties affirme-t-il.

Mauvaise publicité pour la coopération médiatique
L’incident est survenu au même moment se signaient un protocole d’accord de régulation des médias entre le Cameroun et le Tchad. Une alliance non pas pour embrigader la presse, mais plutôt une opportunité selon les deux partie, de mettre en commun des atouts dont dispose chacun des 2 pays en la matière. Avec l’affaire Ebode Innocent, les objectifs semblent partis du mauvais pied. Charles Boyomo Assala minimise encore une fois l’impact de la reconduite d’un journaliste camerounais du Tchad sur la bonne marche du protocole. Pour sa part, Ebode Innocent affirme ne pas savoir s’il rentrera au Tchad. Pour le moment je n’ai rien décidé, je vais laisser la situation évoluer et on verra par la suite ce qu’il ya lieu de faire affirme-t-il.

Innocent Ebode
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