Le Cameroun à la recherche du temps perdu

Avec ses paysages constrastés allant du désert jusqu’à la forêt tropicale, le Cameroun se targue d’être une «Afrique en miniature». Mais ses ambitions, elles, sont d’une tout autre dimension

Le gouvernement camerounais le plastronne partout: le pays d’Afrique centrale situé au sud du Nigeria sera une puissance émergente d’ici 2035. Clés de voûte de ce beau rêve: deux chantiers présentement en cours, le barrage de Lom Pangar et le port en eau profonde de Kribi. Métro a visité le pays et a constaté que, de cette belle ambition jusqu’à sa réalisation, la route s’annonce longue pour le Cameroun.

Un panneau affichant «Bienvenue à Lom Pangar» nous annonce la fin de notre voyage autant que le commencement de celui, bien plus long, que le Cameroun entreprend aujourd’hui vers son développement. C’est ici, à quelque 500km de la capitale, Yaoundé, que le plus important chantier depuis la fin du joug colonial, datant de 1960, voit le jour.

Lom Pangar, nommé d’après les deux fleuves à la confluence desquels un barrage s’érigera en 2016, est synonyme de lendemains lumineux pour le Cameroun. Le pays espère, grâce à ce gigantesque chantier, concrétiser son immense potentiel hydroélectrique – le deuxième plus important d’Afrique – pour combler sa carence en énergie, un frein qui empêche l’essor de son industrialisation.

«Lom Pangar, c’est une révolution de la carte énergétique du Cameroun, s’enthousiasme le maître d’ uvre du chantier, le Bulgare Anton Mitev. Grâce au réservoir de 6 milliards de m3 d’eau créé par le barrage et qui sera un des plus volumineux du monde, le Cameroun sera en mesure de régulariser le débit du fleuve Sanaga, fortement affaibli, pour le moment, en temps de sécheresse.» Et lorsque la Sanaga grondera d’un torrent régulier en toutes saisons, les centrales hydroélectriques situées en aval du barrage seront en mesure de turbiner à pleine capacité 365 jours par année.

«Quelque 6000 MW de puissance électrique sont en dormance au fil de la Sanaga», indique M. Mitev à Métro. Dans un Cameroun où seulement le tiers des ménages a l’électricité, le barrage de Lom Pangar symbolise la fin de deux grandes noirceurs: celle qui s’abat chaque nuit sur ce pays sans réverbère en proie aux coupures de service fréquentes autant que celle, profonde, qui tient près de 50% de la population dans la pauvreté.

«Grâce à Lom Pangar et au nouveau port de Kribi qui pourra accueillir des colosses des mers ayant jusqu’à 15 m de tirant d’eau, le Cameroun espère devenir le seuil d’entrée du monde en Afrique centrale, une région où vivent 140 millions de personnes et qui est en voie de rattraper au grand galop le retard qui la sépare encore du monde développé», explique à Métro le ministre camerounais du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana.

Le développement du Cameroun, toutefois, demeure dépendant de l’investissement privé. «L’État seul ne peut pas répondre aux défis gigantesques auxquels nous faisons face et le privé trouve son compte en investissant chez nous. Tout est à faire!» s’enthousiasme le ministre camerounais responsable des PME, Laurent-Serge Etoundi Ngoa.

Pour pallier son manque de fonds, le pays a ouvert ses frontières aux investissements étrangers, une porte dans laquelle la Chine n’a pas hésité à s’engouffrer. «Une chance que les Chinois sont là! Près de 80% des projets importants présentement en cours au Cameroun sont possibles grâce à des investissements chinois», précise Théodore Nsangu, directeur de l’Electricity Development Corporation, société publique chargée de la construction de Lom Pangar.

L’empire du Milieu, en plus d’être impliqué dans les chantiers de Kribi et de Lom Pangar, est en effet responsable de construire la première autoroute du pays, qui reliera Yaoundé et Douala, la capitale économique camerounaise.

L’afflux d’investissements étrangers est la condition qui permettra l’émergence prochaine du Cameroun autant qu’une source d’inquiétude pour ses élites, qui craignent qu’une nouvelle colonisation économique par des puissances étrangères soit en cours. «La mondialisation ne va pas nous laisser sur le bord du chemin, croit le ministre Laurent-Serge Etoundi Ngoa. Mais il faudra bâtir notre pays en mettant nos entreprises en règle et en formant une main-d’ uvre de qualité. Si on ne fait pas ça, c’est toute notre économie qui sera colonisée.»

Le chemin qui mènera le peuple camerounais vers son émergence est encore obstrué par de petites humiliations quotidiennes, faites d’abus de pouvoir et de justice à la poche creuse, échos de la voracité insolente qui fut longtemps la marque de commerce des élites du pays. Dirigé sans partage par celui qui se désigne comme «Son Excellence» Paul Biya depuis 32 ans, le Cameroun se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, à la fois fier de son rêve d’émergence prévu à l’horizon 2035, mais tout aussi inquiet de la vétusté de ses infrastructures, de la faible application de ses lois, du retard général légué par des décennies d’ingérence étrangère. «Il va falloir chasser le temps», a dit notre chaffeur, un soir, parce qu’il voulait prendre la route avant le coucher du soleil.

Il ne le savait pas, mais il exprimait mieux que quiconque le défi auquel fait face son pays: rattraper le temps perdu.


Sébastien Tanguay/Métro )/n

Privatisation de la SONEL: «Ç’a été une erreur»
Le Fonds monétaire international (FMI) s’immisça dans les finances du Cameroun au tournant des années 1990 et 2000, à une époque où le pays luttait pour éviter la faillite. La solution que le FMI imposa à Yaoundé: une privatisation à tout-va qui vit la Société nationale de l’électricité (SONEL) se morceller, puis être vendu au rabais à des intérêts privés en 2001.

«Ce n’est plus un secret pour personne: la privatisation a été une erreur, affirme Théodore Nsangu, directeur d’Electricity Development Corporation (EDC), une société publique chargée de la construction de Lom Pangar. Toutes les privatisations ont échoué, au Mali, au Gabon, au Cameroun. Sans exception!»

Le contrat de vente de la SONEL obligeait la société racheteuse à construire le barrage de Lom Pangar. Or, 10 ans après le passage de la société publique aux mains d’intérêts privés, ces derniers n’ont pas honoré les termes du contrat.


Sébastien Tanguay/Métro )/n

Du côté des travailleurs: «C’est comme une prison ici»
«Ils sont durs, les Chinois», raconte Martial Koubang, topographe sur le chantier du port de Kribi. Martial, à l’instar de ses collègues, travaille 7 jours sur 7, de 7h à 18h, sous les ordres des contremaîtres chinois. Il n’a pas eu de congé depuis plus d’un an. «C’est comme une prison ici», se lamente-t-il lorsque Métro s’enquiert de ses conditions de travail. Il nous invite dans sa «chambre», pièce sans électricité de 4m2 qu’il partage avec huit autres ouvriers. «Nous dormions à 15 ici avant! Le camp a été construit pour 400 travailleurs: nous sommes plus de 1000!»

Dans le cadre de la porte, le maçon Isidore Njimi se plaint du salaire de 120 000 FCFA – soit 260$ – qu’il gagne chaque mois. «Nos salaires passent en repas et on mange mal. On travaille, mais on ne peut pas épargner.»

Martial et Isidore sont venus à Kribi pour s’extraire du chômage, qui est de 13% et qui bouche, aujourd’hui, l’horizon de la jeunesse camerounaise.

Même son de cloche chez les travailleurs uvrant à Lom Pangar. «Ils ne veulent pas que vous voyiez ça», affirme Max, une travailleuse qui partage, depuis plus de deux ans, une chambre dépourvue d’intimité avec une collègue. «Dès que j’ai assez de sous, je déguerpis.»

Lorsque nous demandons aux responsables s’ils accepteraient de travailler dans ces conditions, la réponse fuse, laconique. «Il ne faut pas s’attendre au même confort sur le chantier qu’à la maison.» Les cadres, eux, semblent pourtant jouir du même confort qu’à domicile, dans leur habitation individuelle climatisée, construite bien à l’écart des baraques où s’entassent les ouvriers. «Je repose ma question: habiteriez-vous ici?» Le silence qui suit la question, cette fois, parle de lui-même.


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