Par Ndam Njoya Nzoméné, Horizons nouveaux magazine
On a failli être taxé de nostalgique ce 12 septembre 2014, quand les représentants locaux du fonds britannique Actis, repreneur de AES-sonel, dévoilaient au public sa nouvelle appellation: ENEO.
On avait connu depuis 1974 la Sonel (Société Nationale d’Electricité). Avec cette dénomination, les Camerounais pouvaient mentalement et symboliquement s’approprier l’entreprise qui affirmait par cette appellation son appartenance à la nation, à la communauté de ceux qui ont en partage le Cameroun, «Berceau de nos chers ancêtres». Même si l’épithète « nationale » pouvait aller avec n’importe quel pays du monde, même le Somaliland, contrairement à la raison sociale, plus précise, que portait la précédente société (Electricité du Cameroun), on se disait qu’installée au Cameroun, avec le gouvernement camerounais pour actionnaire majoritaire, la Sonel ne pouvait être que nôtre. En 2001 vint l’Américaine AES-Sirroco qui n’eut pas le cran d’enlever Sonel, même si elle n’en fit qu’un complément du nom: AES-sonel.
Puit vint Actis ! Pleine d’idées originales. Pour conjurer la malchance, il fallait effacer toute trace de la Sonel qui, dans ses dernières années de vie, n’en menait pas déjà large. «Peut-être est-ce même cette appellation qui, accolée à AES, aurait été la cause de son incapacité tant décriée durant tout son séjour au pays des « Chars des Dieux »», aurait alors pensé Actis qui lancera le 27 mai 2014 un concours de propositions d’une nouvelle dénomination. Pour la petite histoire 12 300 contributions furent enregistrées, 8896 effectivement validées, et trois compatriotes qui avaient proposé «Energy of Cameroon», récompensés pour un montant total de 3 millions de francs CFA, soit deux millions pour le premier et 500 000 francs CFA chacun, pour les deux autres. Energie hors d’état de servir? Energie « off »!
En clair le nouveau nom choisi sur proposition des camerounais fut « Energy of Cameroun », parce que, comme l’expliqueront les officiels de la nouvelle compagnie, «répondant aux critères de départ (faire partie du patrimoine national, être court, facile à lire…)». Sauf qu’au moment de trouver le sigle, il en fut toute autre chose. Le nom « Energy of Cameroon » qui aurait pu donner EOC, ou EOCAM, ou encore ECAM fut passé par pertes et profits… au profit de ENEO (Energie Néo qu’on nous intimera l’ordre de appelle faire compliqué ce qu’on peut faire simple). Tout au plus devint-il un simple slogan servant de béquille à ENEO. On aura donc: « ENEO We are the energy of Cameroon ». Au demeurant, Cameroun et/ou Nation se trouvaient rayés du nom de la société.
De même, les Camerounais peu habitués aux contorsions d’un langage entortillé ne comprirent pas que pour parler d’une « nouvelle énergie » on leur parle plutôt de Energie Néo au lieu de Néo-Energie comme pourraient le comprendre les férus de lettres classiques et autres latinistes. Bon sang !, on dit bien néocolonialisme, néolithique, néonazi, néonatale…et pas colonialisme néo, lithique néo, nazi néo, natalité néo… Plus fins dans l’interprétation que les stratèges de Actis, des Camerounais trouvèrent que dans ENEO, ENE pouvait être un acronyme pour désigner « energy », et que la lettre O, quant à elle, désignerait le « of » qui se trouvait dans les propositions retenues (Energy of cameroon). Mais alors, se dirent-ils, où est passé « Cameroon » qui ait pu être représenté dans cet assemblage de sigles par la lettre C au moins. Hélas!
Alors, fallait-il se résoudre qu’il s’agissait de « Energy Of »? Mais « of » what ou « of » where? Ne fallait-il pas déduire une fois pour toutes qu’il s’agissait de « Energy Off », que l’on peut traduire en français par « énergie éteinte » ou « énergie hors de fonctionnement »?
C’est à cette dernière conclusion qu’en arrivèrent les Camerounais. Entre un « Energie Néo » dépourvu de sens, et un « Energy of… Nothing » ou « Energy of… Nowhere », il ne leur restait qu’un « Energy off » dont le deuxième f avait été (volontairement) omis. Et c’était là le fin mot de l’histoire.
Les Camerounais, beaucoup plus intelligents que leurs gouvernants, quoique ne disposant pas du pouvoir régalien de contraindre ces derniers de faire leur volonté, venaient de comprendre qu’avec la version nouvelle d’énergie que leur aportait Eneo, l’énergie électrique leur était désormais interdite.
En plein 21ème siècle, c’était du «Néo»! Sur fond de néant…néo. Qui dit mieux, et qui pourrait faire mieux?!
