De voyageur à chef d’entreprise, l’aventure d’un Camerounais en Chine

Arrivé en Chine en 2004 pour du tourisme, et après maintes investissements  dans cette contrée, Kingsley Che est aujourd’hui à la tête d’une société de transport de voyageurs en autocar dans son pays natal

Des objets porte-bonheur bien disposés dans l’armoire, un service à thé sur la table, une calligraphie de grand format accrochée au mur, le bureau du Camouronais Kingsley Azieh Che, dans le centre-ville de Guangzhou, a un style bien chinois.

« Rong Tong Si Hai« , les quatre caractères chinois de la calligraphie, signifient en français « connecter les quatre océans du monde« . Ils illustrent bien l’ambition de cet homme d’affaires basé depuis une dizaine d’années à Guangzhou, capitale de la province industrielle chinoise du Guangdong (sud).

Arrivé en Chine en 2004 au simple motif de vouloir voir un peu partout dans le monde, Kingsley n’aurait jamais imaginé rester aussi longtemps dans ce pays pour y fonder sa famille et y établir sa carrière. Agé à l’époque de 23 ans, il était « libre comme un oiseau qui peut s’arrêter là où il veut ». Cependant, cette première visite en Chine, à Beijing, l’a poussé à ralentir. La culture, la langue, tout l’intéressait. Il voulait rester.

Anglophone, Kingsley n’a pas eu de grandes difficultés à décrocher un contrat de deux ans dans une école secondaire de Yuncheng, dans la province septentrionale du Shanxi, comme professeur d’anglais. D’un caractère dynamique et enthousiaste, Kingsley a vite gagné en popularité parmi ses élèves et ses collègues. Au bout d’un an, il a été élu « meilleur professeur » de l’école pour l’année 2005-2006. Un honneur et un souvenir inoubliables pour Kingsley, comme le montre une photo encadrée, fièrement posée sur son bureau.

A Yuncheng, Kingsley a aussi gagné les faveurs d’une belle Chinoise. Les deux jeunes gens se sont rencontrés dans un supermarché local et sont vite tombés amoureux. Ils se sont mariés deux ans plus tard.

En 2006, Kingsley a décidé de quitter Yuncheng pour Guangzhou. « Enseigner n’était pas quelque chose que je souhaitais faire toute ma vie. Je savais depuis toujours que je voulais faire des affaires », confie-t-il. « L’économie chinoise était en forte croissance, j’ai vu des opportunités ».

Après avoir bien étudié le marché, Kingsley est reparti au Cameroun pour trouver des financements. Ses parents lui ont prêté l’équivalent de 150.000 RMB (21.735 dollars). Avec ces fonds, Kingsley a acheté un camion au Cameroun et a engagé un chauffeur pour offrir des services de transport dans son pays et accroître ainsi son capital.

En 2007, estimant que toutes les conditions étaient réunies, Kingsley a créé son entreprise à Hong Kong et a ouvert un bureau de représentation à Guangzhou pour se lancer officiellement dans le commerce sino-africain. Avec un partenaire chinois, il a fondé une usine de fabrication de costumes à Haifeng, un district à moins de 300 km de Guangzhou, à destination de l’Afrique. En tant qu’Africain, Kingsley sait exactement où résident ses avantages. « Mon partenaire chinois est responsable de la production, et moi du marketing, car je connais bien la clientèle africaine ». En moins de deux ans, la production de l’usine de Kingsley est passée de 2.000 à 25.000 pièces par mois, ses produits étaient exportés vers le Cameroun, le Nigeria, le Congo et d’autres pays africains.

Kingsley explique avoir profité de la meilleure période dans l’expansion du commerce sino-africain. Entre 2007 et 2009, les commandes arrivaient à flot constant. Dans le quartier de Xiaobei, la fameuse « ville africaine » de Guangzhou, les boutiques étaient bondées d’hommes d’affaires africains venus acheter en gros des produits « made in China ». « A l’époque, tous les vols de Kenya Airways et d’Ethiopian Airlines à destination de Guangzhou étaient remplis d’Africains », se souvient-il.

Cependant, à partir de 2010, les changements de la conjoncture extérieure, notamment les fluctuations du taux de change et le durcissement des politiques de visas, ont eu un impact direct sur les exportations du Guangdong. Les commandes se raréfiaient, les bénéfices commençaient à diminuer. « Tout le monde a été touché, non seulement les Africains, mais aussi les Chinois, car il s’agit d’un écosystème. Quand les Africains ne viennent plus, les Chinois du quartier de Xiaobei souffrent aussi », note Kingsley.

Les difficultés n’ont pourtant pas découragé le Camerounais. Il s’est alors tourné vers son pays natal. « Le Cameroun d’aujourd’hui est comme la Chine des années 1970. Il dispose d’un grand potentiel de développement », estime Kingsley. Pour lui, avec l’aide de la Chine, son pays entrera dans une phase de croissance économique rapide. « Lors de sa visite en Afrique en 2015, le président chinois, Xi Jinping, a promis un soutien financier de 60 milliards de dollars pour l’Afrique, ce qui signifie d’importantes opportunités de développement pour les pays africains », a-t-il indiqué.

Ainsi, début 2017, Kingsley a fondé une entreprise de transport de voyageurs en autocars au Cameroun. Envisageant d’introduire dans le pays un parc de 100 autocars fabriqués en Chine, il veut proposer un service de haute qualité aux voyageurs camerounais. « Les services de transports en commun au Cameroun sont loin d’être satisfaisants, et les trajets entre différentes villes sont longs et fatigants. Ainsi, je veux proposer un service VIP, avec des véhicules plus performants et des produits de bonne qualité fabriqués en Chine », explique-t-il, ajoutant que « cela contribuera également à changer l’opinion de certains Camerounais sur la qualité des produits chinois ».

La nouvelle entreprise de Kingsley a réussi son coup dès le départ. Plusieurs investisseurs chinois ont manifesté leur intérêt pour l’entreprise. Cependant, l’ambitieux homme d’affaires ne compte pas en rester là. Il a aussi pour projet de se lancer dans le secteur des infrastructures dans son pays. « En Chine, on dit qu’il faut d’abord construire des routes pour s’enrichir. Ce n’est que lorsque les pays africains seront connectés par des routes qu’il sera possible de promouvoir les mouvements des personnes et des marchandises et de développer l’économie », indique-t-il.

Aujourd’hui père de deux enfants, Kingsley est le seul « étranger » dans sa famille installée à Guangzhou. Il attend avec impatience sa « carte verte » chinoise, le certificat de résidence permanente des étrangers. « J’ai déposé la demande, et on m’a dit que je l’aurai cette année », se réjouit-il. Pour lui, la « carte verte » signifie plus de droits et davantage de sécurité et l’encourage à s’enraciner dans ce pays où il a déjà passé une dizaine d’années.

L’aventure en Chine de ce Camerounais se poursuit.