Il est l’ancien Directeur du Festival international des musiques sahéliennes au Cameroun (Festi-Musa)
Adala Gildo comment vous est venu l’idée de créer le Festi-Musa?
Le Festi-Musa est né en 2005 d’un constat. On a remarqué que la plupart des festivals internationaux se tenaient presque tous à Douala ou à Yaoundé tandis qu’au Nord rien ne bougeait. Il y avait dans cette partie du pays un grand vide culturel. Alors qu’ici il y a un fond riche avec notamment les griots. Mais le déclic véritable fut le décès du célèbre griot Boukar Doumbo. Sous instruction du ministre de la Culture de l’époque, Ferdinand Oyono, un concert géant a été organisé en sa mémoire à Maroua le 30 janvier 2001 au cinéma Diamaré. Beaucoup d’artistes du Grand Nord ont pris part à ce concert. A l’issue de celui-ci, les artistes ont émis le v u qu’un tel rassemblement soit encore organisé. Et en 2004 lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai décidé de créer le festival avec l’appui d’autres artistes à l’instar de Toussbanga, JP Matou, Saïdou, etc. Le Festi-Musa est une initiative collective.
Quel est l’objectif du Festi-Musa?
Le Festi-Musa a pour objectif la promotion et la diffusion de la musique sahélienne. Car quand on est au Sud on a une image péjorative de la musique du Grand Nord. On pense toujours que ce sont des griots à l’image de Boukar Doumbo. Pourtant des artistes tels que Ali Baba, Isnebo, Les Waïnabé, Wakili, et bien d’autres, ne sont pas des griots mais, ils font de la musique tradi-moderne. Le Festi-Musa entend donc professionnaliser les acteurs de la filière musicale du Nord, susciter des rencontres entre les promoteurs, les diffuseurs, faire connaître à la nouvelle génération les anciens musiciens qui sont tombés dans l’oubli à l’instar de Koula Kayéfi qui était sur scène lors de la 3ème édition du festival (en janvier 2012) en tant que invité surprise. On veut également susciter des partenariats entre les opérateurs nationaux et internationaux même si cela est parfois difficile.
Le festival a été crée en 2005 mais en 2011 il en est seulement à sa troisième édition. Qu’est ce qui explique ces rendez-vous manqués?
On dit que l’argent c’est le nerf de la guerre, donc quand vous n’avez pas de moyens financiers vous ne pouvez pas organiser un festival. Néanmoins, les années où nous n’avions pas d’argent nous avions organisé des Festi-Musa hors saison. Nous avons organisés plusieurs ateliers avec des spectacles de restitution. En 2010 par exemple, nous avons organisés un festival hors saison à Maroua. Malheureusement au Cameroun, il y a une mafia atour du sponsoring des évènements culturels. Les sponsors vous font des promesses et se rétractent à la dernière minute. Le Festi-Musa n’est pas le seul dans ce cas. Dernièrement à Yaoundé j’ai vu beaucoup de promoteurs de festivals se plaindre. Quand les artistes jouent ils faut leur garantir un minimum en termes de cachet car, vous n’allez pas faire jouer un artiste et après lui dire «merci monsieur».
Mais est-ce le problème des festivals au Cameroun ne réside t-il pas dans leur incapacité à s’autofinancer ou encore dans la mauvaise gestion des budgets qui leur sont alloués?
C’est vrai ce que vous dites. Mais au Festi-Musa nous n’avons jamais eu de gros budget. On a juste des sponsorings symboliques et on compte sur le ministère de la Culture. D’autre part, le nouveau Directeur de l’Alliance Française de Garoua nous a promis un financement pour les prochaines éditions. On espère avoir des gros financements pour nous permettre de faire venir des grosses pointures de l’Afrique de l’Ouest avec lesquelles nous sommes en contact. Les artistes du Mali, de la Guinée ou du Sénégal vous demandent un cachet de 4.000.000 FCFA, on va prendre ça où au Cameroun? Mais nous sommes optimistes.

Cette 3ème édition du Festi-Musa était la dernière pour vous en tant que Directeur artistique. Vous avez décidé de passer le témoin à quelqu’un d’autre. Qu’est ce qui a motivé cette décision?
Je pense qu’il ne faut pas persister à rester dans les projets. Chaque année je fais presque 6000 kilomètres pour préparer le festival. Avec mon âge très avancé, mon organisme commence à accuser le coup. J’ai lancé un appel auprès de mes amis artistes du Sahel pour trouver quelqu’un et depuis peu j’ai pu avoir la bonne personne. Il s’agit de Gesse Roy qui est aussi artiste musicien. A mon avis, c’est la bonne personne, il prend énormément d’initiatives. Il vient d’ailleurs de créer un site pour la promotion des artistes et de la musique sahélienne: www.camer-septentrion.com. En plus Gesse Roy est originaire du l’Extrême Nord contrairement à moi qui suis sudiste. Il peut assurer la relève et il en a les moyens.
Comment voyez-vous l’avenir de la musique sahélienne?
Je pense qu’il y a encore beaucoup de choses à faire. J’ai constaté qu’il y a une différence entre la première génération d’Ali Baba, Koula Kayéfi, Abdou Bénito et la deuxième génération d’Isnebo, Alfa Barry, Waïnabé, Wakili, etc.On constate que dans la deuxième génération on a tendance à imiter. Beaucoup d’artistes n’arrivent pas à s’identifier. Quand on est au Sud du Cameroun et qu’on écoute les artistes du Nord, on a l’impression que c’est la même personne qui chante et ça ce n’est pas bon. Cependant je suis optimiste sur un point. Aujourd’hui il y a une troisième génération animée par des femmes en majorité. Vous avez par exemple Saouda, Yan Mad, Fati Salma, Amina Oualé ou encore Princesse Kadidja. Je pense que si elles sont bien encadrées elles vont aller très loin. Il faut pour cela organiser des ateliers de formation avec des artistes professionnels parce qu’il va se poser un problème d’orchestration et d’arrangement. Il faut que ces filles s’attachent les services d’arrangeurs de qualité, d’instrumentistes qui vont vraiment travailler pour elles et éviter qu’elles ne tombent dans le piège du playback qui les guette en ce moment. Il faut que les artistes du Nord participent à des ateliers. Ici il y a beaucoup de chanteurs mais très peu d’instrumentistes. On ne se forme pas au conservatoire. S’il n’y a que des chanteurs on aura un déséquilibre car tous les chanteurs n’ont pas toujours la parfaite maîtrise de l’art vocal.
Un dernier mot?
Les perspectives pour la musique sahélienne sont bonnes. Cependant il faut que les artistes travaillent, qu’ils soient humbles et ouverts à l’école de la musique, qu’ils assimilent les nouvelles techniques musicales. Je garde espoir que d’ici 10 ans on aura des stars de la musique sahélienne originaires du Grand Nord Cameroun.
