Fondateur de l’association «Simbaa», il voudrait au travers des actions de cette association restaurer la dignité de l’Afrique
Présentez-nous l’association Simbaa
« Simbaa » est une nouvelle association – une de plus diront certains ; Une de trop penseront d’autres. Qu’importe, l’abondance ne nuit pas. Notre slogan est clair, « Pour la dignité de l’Afrique. Le discours de Dakar, celui d’Accra (Obama Ndrl) sur lequel personne n’est revenu parce qu’il était prononcé par un « frère noir » mais qui était un fac-similé de celui de Dakar, présentent une Afrique immature, à laquelle on promet la sucette si elle se comporte bien. Vous aurez des aides à telle ou telle condition. Le discours de La Baule remis au goût du jour. On se souvient aussi des Argonautes de Zoé. Ils étaient plus à interner qu’à condamner, certes. Mais cela ne méritait pas que le Président français promette qu’il allait les ramener en France « quoi qu’ils aient fait ». Il y aurait donc deux justices, selon que l’on a commis un forfait en France ou au Tchad, contre un Français ou un Africain. Il est évident que de tels propos ne pourront jamais être ténus quand il s’agira du Mexique ou de la Colombie. On peut aussi citer les gesticulations moralisatrices sur les biens mal acquis. L’Afrique étant incapable de se débrouiller toute seule, la première association venue qui ne se penchera jamais sur les affaires du Golfe persique, se croira missionnée par le destin pour morigéner les dirigeants du Golfe de Guinée. À l’heure où l’on s’autorise des procès anachroniques contre Jules Ferry, reconnaissons qu’il y aurait beaucoup à dire aujourd’hui sur les « ONGistes », missionnaires contemporains porteurs de la civilisation vers l’Afrique. C’est ceux-là qu’il faut interpeller. Certes l’on me dira que les pays du Nord et la France en particulier trouvent la légitimité de leurs ingérences débridées, coupables, avilissantes et tous azimuts dans la sempiternelle main tendue des Africains, vers les ONG, vers les collectivités, vers les Etats occidentaux pour solliciter, qui le forage , d’un puits, qui la construction d’un dispensaire ou d’une maternelle. Nous ne serons pas indifférents à cette façon de faire des Africains. La dignité, on se la donne par son propre comportement et on l’exige ensuite de l’autre. Avec des amis, nous avons donc réfléchi à une structure qui nous permettra de réagir et de faire avancer les choses.
Pourquoi avoir choisi le nom « Simbaa » ? D’où vient-il et qu’est-ce qu’il signifie?
Parce que le Lion – « Simba » – c’est le symbole de plusieurs nations africaines, le Cameroun, mais aussi le Sénégal, dont j’admire l’avant-gardisme, depuis le député Blaise Diagne, Léopold Senghor – le père de la négritude, de la francophonie, de l’île de Gorée, jusqu’à l’élégance avec laquelle Abdoulaye Wade a quitté le pouvoir après lui avoir impliqué une vision unique. J’aime toujours à rappeler le beau symbole qu’est le monument de la Renaissance. Et le misérabilisme occidental vous dira que ce n’était pas la peine parce que des Sénégalais meurent de faim. Je leur répondrai que seule l’histoire sera juge et que maintenant enfin, l’Afrique a un monument dont la longévité est plus que millénaire. Les contempteurs du monument de la renaissance sont les mêmes qui admirent les pyramides, ou le Château de Versailles, symboles de la mégalomanie des pharaons ou de Louis XIV, ici de vulgaires tombeaux et là une villa de campagne, qui ont tous été construits au moment où les citoyens de ces pays mouraient de faim. « Simba », c’est le symbole la force tranquille. J’aime aussi a rappeler comment Wade a tendu la main aux jeunes Haïtiens dont le pays avait été frappé par le destin. Là où les humanitaires classiques larguent des denrées alimentaires ou capturent des enfants pour l’adoption et le bonheur des familles étrangères, Wade a tendu la main à la jeunesse, en a inscrit un certain nombre dans ses universités, qui retourneront après leur formation, participer à la reconstruction de leur pays. Voilà une des facettes de l’action de « Simba », présenter cette Afrique inventive mais que l’on blâme ou qui n’intéresse personne.
Quels sont les moyens dont vous disposez pour mener à bien toutes ces activités ?
Nous utiliserons tous les moyens légaux, de la réflexion à l’action en justice. Nous préparons un autre petit-déjeuner pour demander au gouvernement la politique qu’il compte mener envers l’Afrique. Nous allons travailler avec toutes les bonnes volontés – spécialistes des problématiques africaines, intellectuels et Etats africains et français en particulier, juristes – pour que la dignité de l’Afrique soit respectée. Si vous voulez parler des moyens matériels, votre soutien sera le bienvenu.
Sur le site Internet de l’association, on retrouve des messages sur des thèmes très diversifiés tels que la revalorisation des anciens combattants d’Afrique, l’implication des enfants dans des conflits armés, la protection des enfants, notamment l’affaire de l’arche de Zoé au Tchad, cela traduit – il la diversité de vos domaines d’intervention?
Ce n’est pas de la diversité, c’est de la cohérence. La dignité d’un peuple passe par le regard que l’on pose sur lui. Ce regard devrait être encore plus respectueux s’il a eu la grandeur d’âme d’envoyer ses fils au secours des autres peuples quand ils étaient menacés par la barbarie. Si après cela, la première ONG venue continue à vous prendre pour des enfants. Mais la dignité d’un peuple, c’est aussi la place qu’il réserve à ses enfants. Ils ne doivent pas être victimes de la folie des adultes locaux – enfants soldats – ou alors des argonautes fous venus d’ailleurs – « Arche de Zoé. Ndlr »
Le vendredi 25 Mai 2012, à l’occasion de la journée pour l’Afrique, l’Association « Simbaa » a organisé à Paris une rencontre pour le lancement officiel. Avec comme invités entre autres Aminata Traoré, Pierre Péan, Jacques Martial ou encore Claudy Siar. Un mot sur ce rendez-vous.
Cela a été un moment de grande émotion. Nous avons marqué l’essai, disent tous les invités, maintenant il faut le transformer, et ce n’est pas le plus facile. Les propos de tous les intervenants allaient dans le même sens. Je vous avoue que j’en étais ému. Ils disaient qu’il est temps que l’on respecte les peuples et les nations d’Afrique. Pierre Péan par exemple, s’est dit choqué de l’arrogance de ceux qui déterminent, sous quel angle – toujours le même : la corruption – l’on doit regarder l’Africain et son développement. Il y avait des Antillais entre autres, jacques Martial qui a parlé du rêve, Claudy Siar dont l’amour pour l’Afrique-mère comme il l’appelle, n’a pas été démenti par le vibrant appel qu’il a lancé pour qu’elle soit respectée comme l’exige « Simbaa ». Il y avait la fille de Fanon , ce Fanon que je considère comme mon maître à penser et dont le discours est toujours d’actualité.
Quel est le calendrier des activités pour cette année en cours?
Nous aurons l’été pour y réfléchir. Mais comme je l’ai dit, nous organisons un autre petit-déjeuner fin juin, pour avoir un échange avec le nouveau gouvernement. C’est avec ce matériau – les deux petits-déjeuners – et les contacts pris avec les uns et les autres, que nous allons établir un programme pour la rentrée. Nous allons aussi profiter de la trêve estivale pour étudier divers dossiers relatifs à la dignité de l’Afrique, celui dit des biens mal acquis, celui de l’Arche de Zoé entre autres. Il convient en effet de savoir si les conclusions du procès sont respectées ou si elles ne le sont pas, les faire respecter.
L’élection présidentielle camerounaise s’est déroulée le 09 octobre 2011. Je me suis permis de mettre en garde contre une éventuelle tentation d’intervention extérieure qui hanterait certains esprits nationaux. Je voulais savoir les Camerounais assez sages pour éviter toute dérive postélectorale. Un politologue m’a interpellé au cours d’une émission nocturne sur STV2 à laquelle j’intervenais par courriel interposé. Me prenant de haut, il me renvoyait à mes angoisses et fantasmes divinatoires de mauvais augure, jurant que jamais cela ne se passerait au Cameroun.
Je me surprenais qu’un politologue ne comprît pas que, dans le contexte d’une Afrique en mouvement, la probabilité serait forte que certains membres de l’opposition pensent que le temps était propice à tous les possibles ; qu’il suffirait de claquer les doigts postélectoraux pour que des communautés internationales viennent rééditer les épisodes ivoiriens, tunisiens ou égyptiens. Qu’importe si ces situations n’avaient rien à voir entre elles et avec le Cameroun. Je comprenais très bien que l’homme de l’art ne faisait pas de l’analyse politique mais exprimait ses v ux pieux que malheureusement il présentait comme une émanation de sa science. Aujourd’hui, avec la coalition aussi incolore qu’inattendue de certains leaders de l’opposition, nous assistons à un épisode des plus picrocholins de la politique camerounaise. Des responsables politiques, des juristes et l’homme de la rue ont fait preuve de bon sens dans leur condamnation de cet oxymore politicien, de cette extravagance humoristique, pour qu’il soit besoin que j’y revienne.
Je ne voudrais pas me poser des questions sur les motivations des gens qui n’ont pas su ou voulu faire l’union pour gagner mais décident de la faire pour envoyer les enfants dans la rue. Je ne voudrais pas me poser des questions sur la logique de celui-là qui proclamait à la télévision, que si John Fru Ndi avait refusé la candidature concertée de Ndam Njoya en 2004, c’est parce qu’il se jugeait le seul digne de cette place. Je ne voudrais pas me poser des questions sur le sort que les Camerounais réserveront à cette galipette soudaine de l’union de l’opposition. Mais je voudrais les rassurer. Si leur objectif, comme aucun de mes fantasmes les plus débridés ne me permet de le croire, est de voir intervenir l’étranger par une ingérence sous quelque forme que ce soit, je ne souhaiterais à personne d’être à leur place face à l’histoire. Il y a eu les mouvements arabes très vite baptisés Printemps, avec toutes les promesses que ce prénom suggère. Ces mouvements ont été initiés par la jeunesse hors de tout contexte électoral, sans l’appel d’aucun parti politique. Hélas, nous observons que les résultats sont à la dimension de l’innocence de cette jeunesse, aujourd’hui dépossédée de cette espérance par ceux qui n’ont jamais su la faire surgir. Ces groupes qui courent vers les suffrages, vont transformer les printemps en crépuscule à peine annonciateur d’une lointaine aube printanière. Mais un cap démocratique a été franchi sans que les politiques qui en sont les héritiers plutôt indignes en aient été les initiateurs. Au Cameroun, avec nos conspirateurs à peine catilinesques, ce ne serait même pas l’annonce d’une aube lointaine, mais la chute immédiate dans une saison blanche et sèche.
L’élection camerounaise s’est déroulée le 09 octobre 2011. Les céroféraires les plus acharnés et les plus serviles du pouvoir ne réussiront pas à se convaincre eux-mêmes que l’on n’aurait pas pu faire mieux en cinquante ans d’indépendance. Mais je continue à poser la question des responsabilités des uns et des autres, notamment celle de l’opposition. L’élection s’est déroulée et je pense que l’opposition a contribué à en faire un champ de foire. Les résultats vont être proclamés. Maintenant, il convient de se tourner vers le futur. La question est de savoir comment faire pour que le Cameroun traverse sans dommage et avec espérance, cette transition, cette mutation des temps qui se présente à lui.
L’élection présidentielle s’est déroulée à un tour. À première vue, mais surtout dans les pays où la démocratie et l’opposition sont matures, dans des pays développés où l’alternance est assurée par la loi limitant les mandats ou par l’usage, ce type d’élection paraît inimaginable. Mais qu’en est-il dans nos pays qui ne remplissent pas encore les conditions énoncées ci-dessus !
Les pays pauvres sont confrontés à des enjeux spécifiques. Tous ces enjeux se résument en un seul : améliorer les conditions de vie des populations en leur donnant accès à la santé, à l’éducation grâce à une répartition équitable des richesses. Force est de constater que nous sommes loin du compte. La réapparition de maladies aussi opportunistes que moyenâgeuses comme le choléra, est là pour nous le rappeler. Pour répondre à ces enjeux, nous ne pouvons compter que sur ce que nous avons. Nous disposons d’un potentiel intellectuel et matériel indéniable. Alors, où se situe le problème ? forcement, ce sont, par leur mentalité, les hommes et les femmes qui font problème. La transformation ne se fera pas grâce à l’action de l’Esprit Saint. Nous sommes minés par des tares d’origines diverses. Quel est le pourcentage de Camerounais et d’Africains en général, qui n’est pas tenté par l’arbitraire hérité du modèle colonial ? Cet arbitraire agit sur deux axes, le pouvoir et l’argent.
Le colon occupait le pouvoir sur un espace auquel il ne devait pas son élection. En effet, le gouvernant n’était pas choisi par ses administrés. Il apparaissait, prenait le pouvoir, restait aussi longtemps qu’il le voulait et repartait comme il était venu, remplacé par quelqu’un qui correspondait aux mêmes critères. Plus tard, on saura qu’il n’était pas un mutant venu d’une autre planète, mais qu’il était envoyé par un pouvoir supérieur. C’est à ce pouvoir qu’il rendait des comptes, pas à ses administrés. Quand nous voyons comment certains dirigeants des pays africains font le siège de l’Elysée pour assoire leur légitimité, nous comprenons qu’ils sont encore dans le même schéma. Quand je pense au ballet de l’opposition dans les couloirs parisiens, je me dis qu’elle n’a rien à reprocher aux autres et que ce n’est pas en son sein que se trouve l’alternative. Vous pouvez me croire. Ma courte expérience des cabinets ministériels m’en a fait voir et entendre des choses !
La tentation de l’accession au pouvoir par l’arbitraire a pris toutes les formes possibles dans les anciennes colonies. Il y a eu le coup d’état, la présidence à vie, la candidature unique, les pères de la nation. Ces tares se retrouveront même chez des nationalistes théoriciens comme Kwame Nkrumah qui se proclamera Osagyefo, le messie. L’émergence de l’homme salutaire ne garantit pas un avenir apaisé. Le Ghana du Capitaine Rawlings est-il un exemple positif ! Je ne puis que m’en féliciter. Mais je vous en propose un autre dont j’ai été un observateur privilégié.
J’ai connu le processus démocratique mauritanien. Il a inspiré mon livre intitulé Les hirondelles du printemps africain. Le colonel Elly Vall a pris le pouvoir par un coup d’état, a assaini tous les niveaux de la société, a revu les contrats avec les firmes étrangères, a organisé les élections et remis le pouvoir aux civils, et tout ceci en dix-neuf mois. C’est exactement le temps qu’il a fallu pour qu’advienne un autre coup d’état qui renversait le président élu – au demeurant très mauvais – et remettait au pouvoir un général.
La deuxième tentation héritée du colonialisme est celle de l’argent facile. Quel est le taux de Camerounais et d’Africains qui n’est pas perméable à la forme de corruption assez spéciale qui sévit sous nos latitudes ? Le colon vivait dans des conditions idylliques alors que l’on avait l’impression qu’il ne travaillait pas. Aujourd’hui, ceux-la qui sont les « nouveaux Blancs » – les nouveaux riches, commerçants, cadres supérieurs – ne pensent pas que leur rémunération et leur niveau de vie devraient correspondre au travail fourni. Toute personne qui se retrouve à un lieu de circulation de l’argent – du policier au ministre, en passant par le proviseur – se croit autorisé d’y puiser à sa guise, sous les acclamations du peuple dont chaque membre rêve d’être à sa place.
Grâce à cette parcelle de puissance volée au peuple, l’on écrasera le peuple par tous les moyens dont l’arnaque, l’abus de pouvoir, la gloutonnerie, une pornographie débridée jusqu’à la pédophilie, la prostitution et le proxénétisme familial et autres pratiques plus outrancières les unes que les autres. Lisez donc le livre d’un initié, le professeur J.E. Pondy qui parle du droit de cuissage à l’université du Cameroun et vous me direz ensuite que c’est à l’universitaire ou à l’intellectuel qu’il faudrait donner le pouvoir sans confession.
Ces tares sont-elles les séquelles de la colonisation. C’est indéniable. Et on les retrouve au sein de toutes les anciennes colonies d’Afrique d’Amérique et d’Asie. Amusez-vous à compter le nombre de présidents qui ont occupé le poste au Brésil, de l’accession de l’indépendance à l’avènement de Lula. Pensez aux paires de Chaussures de madame Imelda Marcos. Ces tares sont-elles issues de la seule colonisation ! Nous pensons que selon que les peuples avaient des prédispositions ou non, ces tares font des dégâts plus ou moins profonds et mettent plus de temps à être éradiquées. Selon que les peuples se donnent les moyens grâce à la réflexion de ses élites politiques mais surtout intellectuelle.
Pourquoi croyez-vous que l’opposition soit aussi caricaturalement inepte ! Elle est à notre image ! Pourquoi croyez-vous que les entourages présidentiels soient aussi grossièrement béats face au prince, aussi prébendiers, dégoulinant d’un discours si mièvre qu’il étourdirait n’importe quel prince ! C’est parce qu’ils sont à notre image. Je repense à ces camarades avec lesquels je hurlais mon mépris des dirigeants et ma sapientielle dans les amphithéâtres de Yaoundé et de Paris. Quand je les rencontre aujourd’hui, je frémis parce que je sais que je suis à leur image.
Comment faire pour en sortir ? Le premier pas est celui de l’union. Celle de l’opposition est impossible quand il s’agit de bien faire, nous en avons les preuves une fois de plus. Cette opposition reproche au prince de ne lui avoir pas donné les moyens de son succès. N’en rions pas trop vite. Elle est à notre image. C’est à ce niveau que j’introduis mon analyse sur le vote à un tour. Parce que nous devons faire avec ce que nous avons aujourd’hui en attendant de le changer le moment venu ; parce que j’ai décidé de laisser la critique systématique à ceux qui, à tort ou à raison, pensent que les choses peuvent changer grâce à une critique systématique ; parce que échaudé par la mue de mes camarades de fac et les errements progressif de l’opposition, je me pose des questions sur moi-même ; parce que conscient de ne pas être forcement meilleur qu’un autre, j’ai délibérément choisi, après des années de critiques tonitruantes, de tenter une approche que je juge plus constructive en passant à l’action participative avec les outils qui sont miens, l’analyse et le conseil.
Alors je poursuis l’analyse. Je pense au débat sur les valeurs comparées des scrutins majoritaire et proportionnel. Dans les vieilles démocraties, la faveur est protée au scrutin majoritaire. Néanmoins, je me souviens que François Mitterrand avait testé la proportionnelle en pensant qu’elle était plus juste. Le choix n’est pas des plus aisés. Le scrutin majoritaire n’est pas aussi juste qu’il paraît puisqu’il permet avec des majorités très relatives en voix, d’avoir de confortables majorités en sièges. Dans les régimes à alternances fréquentes, les uns et les autres en sont bénéficiaires à tour de rôle et s’en satisfont vaille que vaille. Quant à la proportionnelle, elle permet à tous les courants d’être représentés à la proportionnelle des voix recueillies. Qui pourrait nier son caractère juste, équitable ! Le scrutin présidentiel à un tour peut être comparé au scrutin à la proportionnelle.
Dans le contexte de nos pays, face aux enjeux et aux objectifs qui sont les nôtres, il conviendrait que toutes les forces vives soient appelées à apporter leur contribution. Le système d’alliances plus ou moins opportunistes n’est peut-être pas le meilleur moyen de trier les compétences.
Sans nier les magouilles tout à fait possibles et dont la tentation guette tout le monde – à Paris ou à Washington, on n’organise pas des élections pour le perdre, disait quelqu’un – on peut penser à juste titre que le résultat des élections à un tour exprime la volonté du peuple d’envoyer tout le monde aux responsabilités, en attribuant à chaque groupe la taille qui lui convient, taille proportionnelle au pourcentage de voix obtenu. Il appartiendra dès lors au chef élu de réunir tous les partis et de négocier leur intégration au gouvernement. On espèrera qu’avec le temps et en attendant de passer à des systèmes supposés plus équitables, les diverses tendances s’amélioreront pour pouvoir travailler ensemble en conservant chacun ses spécificités idéologiques.
Alors, je passe au conseil. L’histoire est cruelle de justesse et de justice. Je ne parle pas de celle, immédiate, qui est souvent caricatural panégyrique ou fantasmagorique négationnisme. Je parle de la vraie, de celle qui s’écrit toute seule avec le temps quand la vérité devient incontournable. Cette histoire-là réécrira les évolutions logiquement lentes de nos peuples, la longue et rude marche vers la maturité. Mais elle retiendra ceux qui auront trouvé les moyens de faire évoluer les choses.
Les périodes de crise sont propices à l’éclosion des génies ou des monstres. Nous avons vu comment certaines crises ont fait surgir de notre peuple, des patriotes prêts au martyr, d’une générosité, d’une abnégation, d’un altruisme jamais égalés. Nous avons vu comment, plus récemment, elles ont exacerbé les égoïsmes, les arbitraires, les comportements les plus bestiaux, les instincts les plus bas. Que cette crise – celle de l’Afrique en mutation – soit l’occasion ultime donnée aux uns et aux autres de mettre le pays sur les rails du progrès social et économique ; sur les rails d’une vraie réconciliation, la réconciliation que le peuple attend depuis la décennie de braise des années cinquante, réconciliation indispensable à la sérénité et à l’évolution des mentalités.
La campagne électorale est lancée depuis quelques jours au Cameroun. J’ai soudain ressenti une forte envie – je ne l’ai pas senti venir – d’être présent à cet événement, à tel point que je me suis offert une belle télévision – enfin ! ma femme l’a fait – avec un abonnement me permettant de recevoir des chaînes camerounaises. Pourquoi cette fièvre subite ? Est-ce parce que ici et là, de Yaoundé à Bruxelles, en passant par Paris, chaque micro qui se tend à moi, m’interroge sur cet événement ! Est-ce parce que j’ai rencontré quelques candidats de bonne pointure ! Est-ce à cause de certains points de leurs programmes ! Ce qui est certain, c’est que je ne réponds point ici à ceux qui m’intimaient de parler du Cameroun et non de la Côte d’Ivoire. Mais s’ils trouvent ici réponse à leur interpellation, qu’ils m’en voient réjoui, car je ne cherche rien d’autre que le bonheur de l’humain.
À l’une des récentes interpellations médiatiques dont j’ai parlé plus haut, j’ai répondu – une réponse parmi tant d’autres – que le problème de la démocratie camerounaise était à chercher, non pas du côté du pouvoir en place, non pas du côté des fraudes réelles ou supposées, non pas du côté d’éventuelles ingérences occidentales, mais certainement du côté de l’opposition et de la société civile.
Il existe peu de pays en Afrique où la presse et l’opinion sont aussi libres qu’au Cameroun – demandez donc leur avis aux pays de l’Afrique du Nord et du monde arabo-musulman. Cette liberté de presse, comme toute liberté neuve, à conduit à l’émergence de comportements divers. Certains organes se sont positionnés sur une critique systématique et imbécile – au sens étymologique, c’est-à-dire sans garde-fou déontologique – du régime. Le créneau est extrêmement porteur, notamment aux yeux des redresseurs de torts étrangers – de type Tarzan sans frontières – pour lesquels la barbare Afrique demeure le champ d’action le plus prometteur. Un journaliste africain qui se plaint – même sans preuve – de harcèlement de la part des pouvoirs politiques de son pays, est immédiatement élevé au rang de martyr et invité à tous les cénacles occidentaux où l’on débat de la liberté et de la censure.
En 1991, les nations africaines et le Cameroun en particulier franchissent un palier historique de leur maturation qui a conduit à l’instauration du multipartisme. Une analyse fausse et injurieuse pour l’Africain, attribue cette évolution au président français, François Mitterrand et à son discours opportuniste de La Baule qui, pour ne rien changer reprend la vieille dialectique du paternalisme et promet le dollar – pardon, le franc – ou le gros bâton. Petit à petit le multipartisme et bien d’autres libertés s’installent dans les esprits et dans le paysage. Les campagnes électorales sont riches en enseignements, entre ceux qui jugent que les conditions ne sont pas réunies pour qu’ils se jettent dans l’arène – ils prônent le boycott des urnes – et ceux qui pensent qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
Dès lors, des politiciens chevronnés battent le pavé, des alliances se nouent, les présidentielles de 1992, malgré le résultat contesté, seront, nous dit-on, de bonne facture. Monsieur John Fru Ndi est alors le chef incontesté de l’opposition. Au terme de cette consultation, l’homme criera au rapt de sa victoire et les presses nationales et internationales se feront l’écho de ses réclamations. Mais les choses sont désormais claires. On pourra les juger bons ou pipés, les dés démocratiques sont jetés. Les partis politiques – celui au pouvoir et ceux de l’opposition – ont le champ libre. Ils doivent construire des programmes, nouer des alliances, peaufiner des stratégies, la moins bonne étant certainement le boycott des urnes.
Si nous reconnaissons que malgré les atermoiements de l’adolescence, la liberté d’expression est grande au Cameroun, que les partis peuvent déployer leur action en toute liberté, que cette situation existe depuis vingt ans, force est de constater que le spectacle ubuesque qu’offre l’ensemble de l’opposition camerounaise à la veille de ce rendez-vous électoral, fait passer les pieds nickelés de tout poil, soldats de La guerre des boutons ou Gendarmes de Saint-Tropez et autres personnages de Jean Miché Kankan pour des surdoués de la stratégie. Après vingt ans d’existence, on se serait attendu à ce que l’opposition mûrisse, qu’elle noue des alliances, qu’elle renforce son esprit patriotique, qu’elle tourne le dos aux égoïsmes et aux ambitions nombrilistes sinon ventrales, qu’elle aille unie à l’assaut de l’alternance et d’Étoudi. Depuis vingt ans, l’opposition a-t-elle avancé ou reculé ?
Il y a sept ans les grands partis de cette opposition ont décidé de présenter un seul candidat contre Paul Biya. Monsieur Ndam Njoya fut choisi par cette coalition. John Fru Ndi refusa de se retirer et se présenta. Après cela, on pourra parler de fraude et de tout ce que l’on veut. Exit donc l’union de l’opposition et les primaires pour désigner un candidat unique. Sept ans plus tard, cette opposition s’est si bien débrouillée qu’il n’y a vraiment rien à dire. Elle a réussi la prouesse de se dégotter une cinquantaine de candidats.
Quelle leçon a-t-on tiré de l’ouverture du Cameroun à la démocratie ? Le SDF, parti jadis leader de l’opposition, a implosé en Walla et autres Tandem, sous les coups de boutoir de la mégalomanie, que dis-je, de la démiurgie de son fondateur. C’est humain, pourquoi pas ! Certains partis comme des éphémères naissent et meurent. D’autres tiennent bon. D’autres encore n’ont d’existence que la veille des rendez-vous électoraux.
Qu’on le veuille ou non, le seul parti qui a su s’adapter au débat démocratique, c’est le RDPC, le parti au pouvoir. Il sait faire corps, avoir une existence en dehors des élections, nouer des alliances, débaucher des cadres de l’opposition. Qui peut le lui reprocher ! Est-il privilégié et plus riche parce qu’il est au pouvoir ! Et alors ! C’est une quasi règle en démocratie. Profite-t-il de la logistique d’état ! À votre avis ! Qui a dit qu’on jouait ici à qui-gagne-perd ! C’est cela la politique et le jeu démocratique dans les pays développés, dans les grandes démocraties, notamment la France. C’est quoi l’UMP, sinon un RDPC à la française ?
De Gaulle disait qu’il était difficile de diriger un pays qui a 365 espèces de fromages. Il ne connaissait pas le Cameroun, un pays qui a vingt millions d’entraîneurs de football pour son équipe nationale et autant de potentiels candidats à la présidence ; un pays où tout le monde sait tout ! Pour tout dire, quand je parle de ma déception par rapport au comportement des partis de l’opposition, c’est parce que je m’attendais à bien plus de candidats. Que voulez-vous, le poste est dit tellement juteux que tout le monde voudrait sa part de gâteau. Qui peut imaginer que le chairman cède la place à quelqu’un d’autre ?
Gâteau ! Vous avez dit gâteau ! Je me souviens d’un symposium auquel j’ai assisté. C’était en 2009. Les rencontres qui se tenaient à Yaoundé, portaient sur les langues locales. J’ai défendu avec acharnement l’idée que la langue nationale étant l’outil culturel de souveraineté et d’unité par excellence, notre pays devait en dégager une pour consolider les liens de fraternité entre ses enfants. J’ai démontré que chaque fois qu’un peuple se constitue, l’une de ses priorités est l’adoption à partir de l’offre locale, ou la création, d’une langue.
Les Congolais ont choisi le lingala et les Centrafricains le sango. Les Antillais ont créé le créole ex-nihilo, pour exister et résister à la domination culturelle du maître. Les Bissau Guinéens en ont fait de même pendant la lutte contre l’envahisseur portugais. Ainsi, on trouve des langues locales uniques dans divers pays africains. Et dans ces pays, comme en France – François 1er et l’ordonnance de Villers-Cotterêts -, la langue unique a été imposée comme le fait du prince, normée et vulgarisée par l’élite intellectuelle et universitaire. On se souvient du travail réalisé par Du Bellay, Ronsard ou encore Rabelais. Je leur disais encore : si nous ne faisions pas promotion d’une langue, nous allons les perdre toutes car aucun pays ne peut digérer deux cents langues. Ils s’en foutaient de toute évidence. Car il était clair que leur motivation – vous avez dit motivation ! – était ailleurs.
Un des mentors de cette ribouldingue avait introduit son intervention en ces termes : comme l’a si bien dit son Excellence le président de la république, Monsieur Paul Biya. L’ordre des mots n’était certainement pas celui-ci, mais tous ces superlatifs y étaient. Il se dégageait de son galimatias poisseux de flagornerie clientéliste, que le président préconisait l’adoption de langues régionales. Je lui ai posé quelques questions bien simples.
Si le président avait déjà pris une décision, alors, que faisions-nous là ? Par contre, si le président nous avait demandé de débattre de ce sujet, n’était-ce pas parce qu’il attendait des conclusions d’experts et non que nous nous aliénassions comme toutous à ses suggestions profanes. Le président n’étant ni un linguiste ni un spécialiste des problématiques culturelles, il nous avait confié la mission de l’aider dans sa prise régalienne de décision.
La majorité des – sinon tous les – universitaires camerounais qui étaient présents, soutenaient la thèse pour le moins surprenante de l’instauration des langues régionales. J’eus un seul allié en cette occasion, mais j’en fus très fier parce qu’il était le plus grand de nous tous, ne fût-ce que par sa longue expérience en la matière : il s’agit de feu professeur Nguidjol. Attristé par le sort qui était réservé à mon point de vue face aux moulins à vent du raisonnement des universitaires locaux, il ne cessa de me murmurer : toi aussi dis leur, mon fils (Yag wè kalag bô, a man : autorisez-moi ce recours au bassa, tellement plus poétique ici). Puis il poursuivait en français : cela fait quarante ans que je m’égosille à le leur expliquer. Involontairement, il illustrait ce que serait le modèle de langue régionale : un sabir composé de la langue tribale et la nouvelle langue maternelle, le français.
Tous ces hommes nourrissaient un unique projet : pouvoir hériter de la tête d’un département de langue régionale, celle de leur origine tribale, bien entendu. Qui imagine un Bassa chef de département du bamiléké ! Que faisaient-ils de cette si chère unité nationale que nous devions protéger des tribalismes. Rappelons au passage que loin des égoïsmes, loin des tribalismes et des quêtes alimentaires, nos aînés avaient préconisé l’adoption de foulfouldé, langue dont ils disaient avec tous leurs pairs linguistes de toutes origines, qu’elle était la mieux structurée, langue à accent dans le maquis des langues camerounaises à ton.
Le raisonnement des universitaires du symposium pour défendre l’option régionale était d’une telle absurdité qu’il aurait fait rire. Le drame, c’est que personne ne riait et pendant quatre jours, j’ai ingurgité leurs péroraisons d’autant plus insipides et infernales que je les savais très brillants, formés dans les meilleures universités du monde dont Ngoa-Ekelle et capables d’un vrai raisonnement pédagogique. Mais ils étaient là, arrimés à un quotidien tellement égoïste, que pour trente hypothétiques pièces d’argent, ils allaient hypothéquer sans vergogne la souveraineté linguistique du Cameroun et l’avenir de nos enfants à qui ces parents, par ailleurs grands pourfendeurs du néo(colonialisme), ne parlent même plus leur propre langue, n’usant que du français ou de l’anglais inconsciemment jugés supérieurs. Ces pauvres chérubins largués, qui ont dû créer le sabir camfranglais pour cimenter leur culture locale, loin de toute immixtion étrangère.
Pourquoi cette interminable digression dont on pourrait penser qu’elle n’a rien à voir avec la campagne électorale en cours ? Hélas, elle a tout à voir. L’enseignement le plus criard que nous renvoie cette campagne est celui des égoïsmes sidéraux des Camerounais. Pourquoi cinquante – puis Vingt-trois candidats après l’écrémage par ELECAM -, alors qu’il y a vingt ans, l’opposition essaya de se structurer. Depuis lors, chacun s’est rattrapé à sa manière, certains par des ralliements nocturnes au pouvoir en place, alors que de jour, l’on continue à jouer les opposants farouches. D’autres ont adopté un programme plutôt court, en trois mots : Biya doit partir. Bien des candidats sont devenus des forcenés de l’opposition, leur nouveau statut permanent, dont ils jouissent avec délectation. Les périodes électorales deviennent alors le temps des moissons médiatiques. D’autres peut-être les mêmes – cherchent à se mettre en lumière espérant attirer le regard du prince. Allez donc savoir dans ce salmigondis, quelle est la vraie opposition – parce que je suis convaincu qu’elle existe, même si elle est tournante. Mais ça aussi, c’est le jeu démocratique.
Tout cela n’est que vagues supputations, me direz-vous. Je suis le premier à vouloir vous croire. Mais poussons un peu plus l’analyse.
Un jour, j’entends un candidats des plus en vue, prôner la découpage du Cameroun en une douzaine d’états fédérés. J’ai cru que c’était une blague. À l’ère de la constitution des états supranationaux, à l’ère de l’effervescence de la pensée panafricaine selon laquelle l’Afrique doit former un seul état pour exister vraiment – sans même tenir compte du fantasme de la fraternité colorielle -, en pensant aux incessantes récriminations des Africains contre la balkanisation du continent par les colons et le résultat qui en aurait découlé, sous la forme d’inopérants états confettis, entendre un ténor de la politique camerounaise proposer le retour à des états aux contours tribaux, m’a paru tout simplement psychédélique. En écoutant la télévision, je découvre que cette proposition est partagée par bien d’autres candidats.
Suivons leur raisonnement. Les micros états seraient plus préhensibles et assureraient le bon usage des ressources pour la réalisation des objectifs définis. Et l’on se demande pourquoi le Gabon, la Guinée-Équatoriale et même le Congo, ne sont pas des Suisses africaines puisque leurs tailles physique et démographique, sont voisines de celles des états qui naîtraient du fédéralisme tribalistique ? Certes l’Inde ou le Brésil sont des fédérations. Mais leur émergence socio-économique actuelle ne doit rien au système fédéral qui existait déjà du temps de leurs errements tragi-comiques. Et le Nigeria voisin n’est certainement pas un modèle de bonne gouvernance, bien au contraire ! La décentralisation qui a vu la répartition du Cameroun en régions devrait être suffisante.
C’est à ce niveau de ma réflexion sur les élections que j’ai pensé aux élucubrations de mes collègues de symposium. Ils voulaient des langues régionales pour une seule fin : en être les chefs des départements universitaires. De même, si nos promoteurs des états fédérés sont prêts à sacrifier l’une des plus belles conquêtes du Cameroun, son unité nationale au-delà des vieux systèmes coloniaux et tribaux différents, est-ce pour créer assez de mini-califats pour satisfaire toutes les ambitions mégalomaniaques ? Cette proposition d’assez mauvais goût et hautement absurde ne serait-elle pas un illusoire cache-sexe sur la nudité programmatique de certains prétendants au trône !
Demain les Camerounais seront devant les urnes. Ils auront en tête les programmes de tous les candidats. Une chose est certaine. Le monde vit une ère de grande mutation et de transition. Le Cameroun n’y échappera pas. Le mandat qui vient, sera forcément celui de cette transition et je louerai le discours de tel ou tel candidat qui promettrait de faire de ce mandat celui d’union nationale pour préparer le Cameroun et sa jeunesse aux enjeux qui les attendent. Quel que soit le vainqueur, c’est le seul conseil que je puis me permettre de lui donner. Car à ce point, les valeurs ne peuvent plus être partisanes. Elles seront nationales ou ne seront pas.
Une seule recommandation, mon ultime prière, ma prière virile, loin des rires et des cris : que jamais, au grand jamais, aucune des parties en présence ne sollicite une force extérieure pour régler les problèmes camerounais, autant le contrôle des élections qu’une intervention post-électorale, même quand il y aurait litige. La société nationale dispose de la sagesse et des hommes nécessaires pour venir à bout, comme l’a fait Nelson Mandela, qu’elle qu’en soit la gravité, d’une éventuelle palabre interne. Et que l’histoire retienne à jamais le nom de celle ou de celui qui aurait des velléités – même dans son discours – de recourir à de telles intrusions, et de joncher le chemin de sa conquête de vies camerounaises tombées sous les coups d’armes étrangères.
L’écrivain revient sur la situation en Côte d’ivoire
Vous me connaissez. Je n’ai jamais été ni le céroféraire ni le thuriféraire d’un afrocentrisme militant, parce que tous les centrismes sont naïfs, et nocifs, et stériles. Je n’ai jamais supporté une Afrique tournée vers un passé qui ne se concevrait que dans l’âge d’or des pyramides ou l’âge de cendres de la colonisation et de l’esclavage. J’ai pu – ou su – crier à Douala que la France ne devait rien au Cameroun quand on se placerait sous cet éclairage des relations passées. Avec Frantz Fanon, j’ai dit que je n’étais pas prisonnier de l’histoire, que je n’y cherchais pas un sens à ma destinée. J’ai toujours brandi le Hic et Nunc comme la règle, l’équerre et le compas qui traçaient les lignes de ma conduite et de ma relation à autrui. C’est ce Hic et Nunc qui m’autorise aujourd’hui à dire avec Aimé Césaire «fin à ce scandale » mais aussi «this scandal must be put to an end», pour me faire comprendre du maître de l’Outre-Atlantique ; à ne pas rester sourd à tant de souffrance et de dignité bafouées ; à me demander – pure question de rhétorique – quelle position aurait prise le défenseur de la liberté, de la justice et de l’Algérie meurtrie, Frantz Fanon.
Depuis les indépendances africaines, loin des positionnements stratégiques des politiques et des organismes internationaux – Union Africaine, CEDEAO – bien peu d’événements auront autant ébranlé le nationalisme populaire dans ce continent, que la situation ivoirienne. On peut penser à la mort de Patrice Lumumba, à celle de Thomas Sankara, à la chute de l’apartheid. L’une des constantes de ces événements, c’est que dans aucun, l’Afrique n’a pu se féliciter de l’action de la «communauté internationale». Quand elle a été actrice, elle l’a fait en dépit de toute considération pour les états et les peuples, ou alors s’est enfermée dans un silence d’une complicité active. Les populations africaines, jeunesse en tête, crient leur colère envers cette «communauté internationale» informe, insipide, qui se fait haineuse et haïssable et envers toutes les communautés adjacentes – ONU, UE, UA, CEDEAO. Que ces communautés persistent à maintenir en Côte d’Ivoire, le cap du bruit des bottes et des menaces d’asphyxie financières, est interprété par les manifestants de Paris, Bruxelles, Douala ou Abidjan et par les rédacteurs de pétitions africaines qui circulent sur la Toile, comme un mépris inacceptable. La France plus que tout autre nation – mais ses élites s’en rendent-elles seulement compte – devient l’objet d’une rupture profonde avec les populations africaines.
Un jour, un pays dirigé par un président élu, dont la légitimité n’est contestée par personne, ni la communauté domestique, ni les nations étrangères, ni les opposants politiques – Henri Konan Bédié et Alasane Ouattara en tête -, est fragilisé par une tentative de coup d’état dont le moins que l’on puisse dire, est qu’il est ethnoporté, puisque revendiqué explicitement et exclusivement par la rébellion venue des populations du Nord du pays. Alors, ni la communauté internationale, ni les opposants politiques, ni celle qu’on appelle l’ancienne puissance coloniale – comme si c’était un grade ou une qualité -, ne condamnent cette attaque barbare contre la démocratie. Ni la communauté internationale, ni les communautés adjacentes, ni les opposants politiques, ne proposent une intervention militaire pour ramener le pays à l’ordre démocratique. Certains iront même plus loin dans l’absurde.
La France qui est liée à l’état ivoirien par des accords militaires, fortifie la légitimité des rebelles en les invitant à la table des négociations marcoussiennes, au même titre que l’état ivoirien, avec son gouvernement, son Parlement et son président élu. On imagine mal la France et la rébellion corse convoquées à l’ONU. On se demande pourquoi personne ne vole au secours d’une Belgique sans gouvernement depuis des mois. Mais rien n’est trop bas quand il s’agit de l’Afrique. La France installe une ligne de démarcation entre le Nord et le Sud, actant la partition de la Côte d’Ivoire en deux entités, l’une laissée à la gestion barbare d’une bande rebelle. Le cynisme n’ayant pas de limite dans cette affaire, le Nord devient plus souverain que le Sud. La rébellion peut continuer à s’armer tranquillement, mais elle ira aussi siéger au gouvernement du Sud. Guillaume Soro devient Premier ministre. Supposé préparer les élections, il peut se permettre de ne pas respecter les résolutions des divers accords, notamment le désarmement de la rébellion, préalable indispensable à la tenue d’élections fiables. La communauté internationale n’en a cure et pilonne systématiquement le président ivoirien élu, le pressant d’organiser les élections dans des conditions dont on sait qu’elles conduiront inévitablement vers une impasse.
Les élections ont lieu. Au Nord, la rébellion est toujours armée. Le lendemain du deuxième tour – le 29 novembre 2010 – la presse, qu’on la dise favorable à un bord ou à un autre, est unanime pour souligner la baisse de la participation par rapport au premier tour. On parle de 70%. Le même jour, un communiqué de l’ONUCI – la représentation armée des Nations Unies en Côte d’Ivoire – fait état d’un taux de participation «avoisinant les 70%». Le jour après, miracle, le taux de participation fait un bond de sauteur à la perche et franchit la barre des 80%. La «communauté internationale» et l’ONUCI valident, adoubent leur champion, le portent sur les fonts baptismaux de l’innommable et le couronnent nuitamment dans son quartier général de campagne, sous l’ il attendri des ambassadeurs de France et des USA. Guillaume Soro change de camp avec armes – c’est le cas de le dire – et bagages, sans tirer le moindre cri d’indignation, allant ainsi récupérer une rançon dont vous devinerez aisément la contrepartie. Le plus naïf des observateurs aura compris le rôle qu’il jouait dans l’équipe de Laurent Gbagbo : veiller justement au non-désarmement de la rébellion, car elle pourrait resservir. Le camp de Laurent Gbagbo conteste l’action de la «communauté internationale», proteste, affirme que comme dans bien des pays démocratiques dont la France et les USA – Barack Obama n’a-t-il pas demandé aux Africains de respecter leurs institutions -, la légitimité de la proclamation des résultats en Côte d’Ivoire revient au Conseil Constitutionnel.
Il est difficile à quiconque de comprendre, contre tous les textes qui régissent son action, l’entêtement de la «communauté internationale» et des communautés adjacentes à imposer leurs décisions à la Côte d’Ivoire. Qui pourra aujourd’hui nous dire ce que c’est que cette «communauté internationale» qui se définit à l’exclusion de l’Union Africaine. Qui peut imaginer que, si elle réussissait à la fin à convaincre la CDEAO d’envoyer un corps expéditionnaire déloger le « méchant », comme le lui demande « le bon » par une guerre civile ou une opération ciblée sur le palais présidentiel, opération dont les puissances occidentales assureraient l’armement et la logistique, qui peut s’imaginer que les soldats de la CEDEAO dont des parents résident dans cette Côte d’Ivoire qui a toujours été une terre d’accueil des migrants africains, se grandiraient à aller verser leur sang et le sang d’autres Africains, civils et militaires, pour une cause dont la justesse reste à démontrer et pour obéir à des diktats étrangers.
Et toi, «communauté internationale» mon amie, où étais-tu donc quand en Afrique l’on assassinait la liberté et l’espérance qui avaient noms Ruben Oum Nyobè le nationaliste camerounais dans le maquis des années 50 et sa guerre d’indépendance, Patrice Lumumba, Premier ministre congolais dans les années 60, et même, hier encore, sous nos yeux parisiens, Dulcie September, la représentante de l’ANC dans les années 80 ! Où étais-tu donc quand Nelson Mandela croupissait dans les geôles de la honte et du racisme ; son peuple du sud chanté par Senghor, dans les ports les chantiers les mines et les manufactures, le soir, ségrégué dans les kraals de la misère, alors qu’il entassait des montagnes d’or noir, d’or rouge et crevait de faim ; sous le regard goguenard de l’ONU ! Qui s’imaginerait que par une métempsychose fortuite, « communauté internationale », tu te mettes à défendre les intérêts de ce continent, toi qui n’as jamais su lui trouver une place au sein du Conseil de Sécurité de ton bras actif, l’Organisation des Nations Unies. Grand prêtre Laocoon réveille-toi, on leur fait des cadeaux ! Serait-ce un cheval de Troie ! Que cacherait le cheval d’Abidjan ?
Et toi, peuple de France, je te connais et suis désormais tien. Je sais qu’en tes veines, coule l’esprit de Champagney. Je pense à toi, Champagney, modeste commune de Haute-saône, un beau jour, rebaptisée Champagney-la-grande par Camille Darsière, député de la Martinique. Tu fus terre chantre de la Liberté, terre recréatrice de l’Egalité, terre symbole de la Fraternité universelle. Tu chantas ton humanisme flamboyant en ce jour béni du 19 mars 1789 quand dans l’article 29 de ton cahier des doléances, tu gravas ta grandeur et l’âme de la France éternelle sur le marbre républicain.
«Les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les nègres dans les colonies, sans avoir le coeur pénétré de la plus vive douleur en se représentant leurs semblables unis encore à eux par le double lien de la religion, être traités plus durement que le sont les bêtes de somme.
 Ils ne peuvent se persuader qu’on puisse faire usage des productions desdites colonies, si l’on faisait réflexion qu’elles ont été arrosées du sang de leurs semblables, ils craignent avec raison que les générations futures plus éclairées et plus philosophes n’accusent les Français de ce siècle d’avoir été anthropophages ce qui contraste avec le nom de Français et plus encore celui de chrétien.
 C’est pourquoi leur religion leur dicte de supplier très humblement Sa Majesté de concerter les moyens pour de ces esclaves faire des sujets utiles au Roy et à la patrie ». C’était le temps béni où à Champaney, les nègres étaient des semblables, des frères. Générations futures, réveillez-vous donc ! C’est un ordre venu du fond des âges !


Que vos mânes, à vous les 444 Champagnésiens de l’Histoire, reposent en paix. Votre humanisme est intact dans l’âme de vos descendants et de tous les Français, ce peuple dont j’ai tant chanté l’humanisme et l’antiracisme ; peuple de fraternité champion du monde des mariages mixtes – tabou suprême du racisme – parce que le voisin devient bien vite frère et beau-fils et beau-frère ; mais peuple malade de ses élites – toutes ses élites, intellectuelles et journalistiques, politiques – qui perpétuent l’arrogance civilisatrice et dominatrice.
Aujourd’hui, le peuple de France se demande pourquoi il est honni par monts et par vaux lointains. J’entends les trémolos de ce bon peuple de petites gens mes amis, qui me demande pourquoi on n’aime plus la France en Afrique ou ailleurs. Il ne comprend pas malgré les explications de Stephen Smith qui nous apprit naguère Comment la France a perdu l’Afrique, comme on perd une possession et non un ami ou ce parent que Senghor voulu inventer avec la création de la Francophonie, après la double bestialisation portée par la colonisation – celle du maître par ses actes et celle du colonisé par le maître.
Et l’on pense à nos enfants français massacrés à Niamey, dont l’un venu tisser par le mariage avec une Africaine, les plus forts et les plus nobles et les plus humains et les plus beaux liens de fraternité ; massacrés par des fous, mais qui – à tort, à grandissime et bestial tort – peuvent prétendre se venger de l’arrogance de la France politique. Et l’on pense à ce ministre qui, non contente de signer des autorisations de vente des outils de la répression à un régime dictatorial aux abois, proposait de former les assassins à l’art et à la manière inodores d’en faire bon usage pour mâter une révolution portée par la jeunesse. Alors avec les errements du discours politique français sur la révolution tunisienne, mes amis ne se demandent plus comment ils seront désormais accueillis sur les plages d’Hammamet et de Port El Kantaoui, dans les souks de Sousse et de Nabeul, les destinations privilégiées de leurs vacances.
Mânes de Champagnesiens, je vous sais vivantes dans l’âme française. Et je l’entendrai toujours, malgré les justes questionnements du poète malgache Jacques Rabemananjara, «claire innocence, ton chant trop pur, ta voix trop douce dans le croassement des ténèbres » de la barbarie humaine. Certes, Rabemananjara, « la force aveugle de l’abîme tire de son fouet le son aigre de l’agonie». Certes, cher défunt maître, «les étoiles meurent sans un soupir» à Niamey, Abidjan et ailleurs. Mais vaine est la barbarie et la justice triomphe toujours.
Pour revenir à la Côte d’Ivoire et aux positionnements des élites françaises, la journaliste et l’intellectuelle ne sont pas en reste. La presse tout entière, de la plus révolutionnaire à la plus révoltante, à l’exception notable du Gri-Gri international – si j’en oublie, mea culpa – , relaie à l’envie, le discours nauséeux des politiques aveugles et les pétitions impies – le Monde des idées – d’une intelligentsia borgne en cette occasion – elle ne l’a pas toujours été, Dieu merci – que signent, assourdis par le tintamarre ambiant, quelques Africains dont l’un d’eux m’avouera implicitement son erreur et rectifiera le tir avec une tribune intermédiaire.
Communauté internationale et consorts, me direz-vous un jour de quel charme improbable, de quelle virginité soudaine, vous habillez Alasane Ouattara l’ancien Premier Ministre dont on peut dire sans méchanceté aucune qu’il incarne un passé bien peu démocratique dont furent d’ailleurs victimes des ivoiriens coupables d’opposition, et son âme damnée le rebelle Guillaume Soro, improbable faiseur de rois, qui promet des châtiments à tire-larigot ! Me direz-vous un jour ce que vous récompensez en eux – pour Salomé, fille d’Hérodiade, ce furent ses talents de danseuse – pour leur offrir sur un plateau comme jadis celle de Jean-Baptiste, la tête de la Côte d’Ivoire qui ne vous appartient pas ! Quels intérêts – permettez-moi une naïveté passagère, ponctuelle – vous poussent à la diabolisation subite d’un homme, Laurent Gbagbo, qui fut le seul leader ivoirien à mener une opposition impossible mais pacifique à Félix Houphouët-Boigny, à accepter la prison et l’exil, à briguer la magistrature suprême, à la gagner en venant de l’opposition, sans jamais avoir compromis son combat par l’acceptation d’un maroquin corrupteur ; qui peut dire avec Rabemananjara «mes doigts son clairs comme le printemps, mon c ur est neuf comme une hostie».
Dans une chronique récente, j’interpellais l’intellectuel africain, afin qu’il prenne position, qu’il embarque dans ce train de la renaissance qui passe devant sa porte. Parodiant Aimé Césaire, je lui intimais de parler, afin d’attaquer à leurs bases, oppression et servitude pour rendre possible la fraternité. Quelques-uns l’avaient déjà fait. D’autres m’ont écouté. Mais lequel, de la fantasque Calixthe Bayala – Laurent Gbagbo n’est pas seul – au vieil Olympe Bhêly-Quenum – Je fustige les rebelles de Ouattara -, en passant par le flegmatique prix Renaudot, le peul Tierno Monenembo – l’ONU ne doit pas recoloniser l’Afrique – ou l’indomptable Achille Mbembe – La démocratie au bazooka – ; lequel a tissé le moindre laurier même en papier recyclé à la «communauté internationale» ? Lequel a salué Barack Obama ou encensé Nicolas Sarkozy ? Combien ont reconnu la légitimité de Ouattara ? Lequel n’a pas apporté son soutien explicite ou implicite à Laurent Gbagbo, les plus minimalistes demandant comme lui, que l’on respecte les textes d’un état souverain ; que l’on arrête les bruits de bottes et les rodomontades grotesques – incontournable pléonasme -, que cette affaire soit laissée à la discrétion des Ivoiriens. Quel homme politique africain a envoyé le plus petit courriel de félicitation à Ouattara !
Qui pourrait comprendre qu’au lendemain de la célébration du cinquantenaire des indépendances des anciennes colonies françaises d’Afrique, ce continent soit encore regardé avec les yeux du documentaire récemment diffusé par France télévision sur la Françafrique, documentaire inattendument prophétique, qui annonçait la victoire de Ouattara -, les explications alambiquées du réalisateur n’y pourront rien – alors qu’il avait été produit des mois avant les élections ivoiriennes ? Qui peut accepter qu’un certain Monsieur Choi se comporte encore comme un commandant de cercle ? Nos enfants ne nous mépriseraient-il pas à juste titre s’ils savaient que nous étions restés muets devant le spectacle grotesque d’une furtive proclamation de la victoire d’un candidat par les ambassadeurs étrangers dans son Quartier Général.
Je voudrais comme le Chaka de Senghor, voir « l’Afrique comme une fourmilière de silence au travail ». Mais ce ne sera plus sous le fouet des Boers, ce ne sera plus ce peuple du Sud «soumis à la règle, à l’équerre et au compas», ce ne sera plus derrière « les forêts fauchées et les collines anéanties » pour l’enrichissement des autres. Ce sera par l’Afrique, pour l’Afrique son peuple et sa jeunesse qui commencent à monter au front de la dignité. Et lentement, sûrement, progressivement – merci Césaire -, la vieille négritude se cadavérise. Vous serez obligés de laisser la Côte d’Ivoire écrire les premières lettres de son épitaphe. Le destin l’a choisie car elle le vaut bien, cette Hirondelle du printemps africain.
«Je pense que la maladie du monde vient de l’oubli de soi»
Quel message vouliez vous passer à travers cette conférence?
C’est un rappel des choses élémentaires que sont la fraternité, l’humanisme, l’autre, le retour à l’autre qui n’est que soi-même. Je pense que la maladie du monde vient de cet oubli de soi et lorsque nous allons revenir à nous-mêmes ce sera tellement plus facile alors de penser l’autre, c’est-à-dire de redevenir le monde.
Pensez-vous que le monde tel qu’il est aujourd’hui possède les moyens de revenir au soi comme vous le dites?
Biens sur! Nous en sommes absolument capables, mais à condition de le vouloir. Le voulons-nous? C’est cela la question. Voulons-nous redevenir nous-mêmes, des êtres debout? Si on dit oui alors tout est possible. Il y a beaucoup de travail, le chemin est long mais fermez les yeux, avancez et vous verrez que les choses apparaîtront d’elles mêmes. Les yeux de la raison; Puisque la raison est toujours dans la stratégie de calcul. Fermons ces yeux là, ouvrons d’autres yeux qui nous plongent dans la nuit humaine en restant extrêmement vigilants.
Dans votre exposé vous distinguiez la tradition et les traditions. C’est quoi la différence?
Les traditions sont les canevas, la tradition c’est le lieu. La tradition c’est le commencement, le noyau dur qui reste lorsque tout à fichu le camp. Les traditions peuvent disparaître mais la tradition reste. Il se trouve que dans certaines traditions, on est encore dans les chemins qui mènent vers quelque chose qu’on peut appeler la tradition à condition que ces traditions s’appuient, se fondent sur des valeurs.
Qu’entendez-vous par «certaines traditions»?
«Certains traditions» ça peut être la corruption, les détournements., les traditions comme je l’ai dit, c’est tout ce qui va me détourner, tout ce qui m’aliène, qui m’empêche d’être véritablement l’être humain responsable de lui et des autres. Vous avez des traditions partout dans le monde entier, il n’y a pas que les traditions africaines. J’étais en Ukraine, il y a la corruption là-bas. J’ai vu des crimes effroyables en Ukraine. Il y avait ces messes noires, des gens qui veulent être riches et qui sont obligés d’abîmer les autres. Je me dis que cela n’est pas propre qu’à l’Afrique. Je suis né ici et mon c ur bat sans cesse l’Afrique. Mais en même temps ce que je dis là concerne tout humain, tout l’homme, tout homme.
Gaston Paul Effa à une dédicaceJournalducameroun.com)/n
L’écrivain camerounais a donné une conférence de presse ce mercredi à Douala
Son dernier ouvrage paru il y a deux ans portait déjà bien son nom, Nous enfants de la tradition. C’est dans ce sillage que l’auteur a proposé la conférence de ce mercredi qui marquait en quelque sorte le clou d’une tournée qu’il a entamé au Cameroun il y a environ deux semaines. Gaston Pau Effa, ce n’est pas tous les jours que l’on a une personnalité sa trempe au pays. Ce qui explique la forte affluence observée au Centre Culturel Français de Douala. Un public curieux de savoir quelle réponse l’auteur donnera à la question qui fait office de thème, Faut-il en finir avec la tradition?
Je ne m’en prends pas à la tradition, mais à certaines traditions, déclare l’auteur pour ouvrir son propos. «Certaines traditions» sont celles qui nous éloigne de nous même et nous plonge dans l’obsession de la raison. Aujourd’hui, affirme l’écrivain et philosophe nous vivons encombrés de l’Ego, encombrés de l’hyper soi et n’avons plus le souci de l’autre. Et c’est cela la maladie de l’Afrique. L’oubli de soi, l’oubli de l’autre, voire l’oubli de la tradition qu’il différencie des traditions. On confond la tradition avec les us et coutumes que l’on appelle les traditions, la tradition étant ce que l’on transmet, comme des objets. A force de les transmettre ils perdent des traces. On n’a plus l’objet d’origine et du coup on n’a plus que les traditions. Or la tradition c’est ce qui reste lorsque tout a fichu le camp. Prenons l’exemple d’une mangue. Elle a une chaire succulente, mais l’essentiel de la mangue c’est le noyau. C’est lui qui reste lorsqu’il n’y a plus de chaire.
Gaston Paul EffaJournalducameroun.com)/n
En Afrique comme sur les autres continents, la tradition a fichu le camp laissant place à la corruption, à la soif de l’autorité, de domination et d’égoïsme. Ne lui parlez pas de cinquantenaire des indépendances de l’Afrique. Quelle indépendance! Et encore moins de mondialisation car pour lui ce n’est qu’un calcul économique, et dès lors que l’on s’y jette, on n’a plus le temps de la tradition, on n’a plus le temps de l’autre.
La conférence était alors l’occasion pour Gaston Paul Effa de rappeler l’urgence qu’il y a aujourd’hui de se retrouver. Cela passe par une reconquête de soi, de l’humanité, mais d’abord faut-il le vouloir. Il faut, dit-il vivre sans avoir autre chose à faire que vivre. Si tu veux manger, mange! Tu veux dormir, dors! Tu veux marcher, alors marches, écoutes le bruit de la poussière sous tes chaussures, prends plaisir aux piqûres des gouttes de pluies… L’auteur exhorte à la méditation, au suspend de soi, à la mise entre parenthèse de l’obsession de la raison pour vivre l’obsession au bonheur. Par la même occasion, il prône le retour à l’autre avec un grand A. Le chef d’entreprise par exemple ne devrait plus accumuler des richesses juste par souci de gros chiffres, mais davantage par un souci d’humanisme, lui-même étant propriétaire d’un restaurant en France.
En bref, bel échange entre l’écrivain et le public, ses futurs initiés et a qui il recommande pour clore son intervention avant de prendre son avion ce soir, de laisser le dernier mot au silence, le temps de la méditation.