L’Afrique face au conflit Russo-Ukrainien et aux pressions occidentales

L’Assemblée générale de l’ONU a adopté la résolution *A/ES-II/L1* le mercredi 02 mars 2022, à 11h55min, heure de New-York. 

Celle-ci n’exigeait que la « Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ». Le résultat de ce vote est fort intéressant, surtout en ce qui concerne l’Afrique. Si sur les 193 pays Membres de l’ONU, 141 ont approuvé ce texte, il reste vrai que 05 s’y sont formellement opposés (la Russie, la Biélorussie, la Corée du Nord, la Syrie et l’Erythrée).

L’objet de la présente réflexion est de présenter à vous tous, le détail de la position adoptée par les plus hauts responsables politiques de chacun des 54 pays Africains sur ce vote.  Afin que nul n’en ignore et surtout, de façon à pouvoir connaître le positionnement réel de ces derniers, au-delà des discours officiels qu’ils pourraient tenir en diverses circonstances.

 Les pays Africains seront donc classés en quatre catégories, pour faciliter la compréhension de leur comportement. D’abord, ceux ayant voté pour la résolution mentionnée plus haut(1), ensuite ceux ayant voté pour l’abstention(2), suivis des pays qui ont choisi d’être absents de la salle de votes (3) et enfin, ceux qui ont clairement voté contre la résolution(4).

Parmi les pays Africains ayant approuvé la résolution condamnant la Russie, l’on retrouve :  Bénin; Botswana; Cape vert; Tchad; Comores; Côte d’Ivoire; RDC; Djibouti; Egypte; Gabon; Gambie; Ghana; Kenya; Lesotho; Libéria; Libye; Malawi; Mauritanie; Île Maurice; Niger; Nigéria; Rwanda; Saõ Tomé; Tunisie; Zambie; Somalie; Seychelles et Sierra Leone. Soit un total de 28 pays sur 54. Pourcentage : *51,85* *%*

 La présence de la RDC, dont le Président vient tout juste d’achever son mandat à la tête de l’Union Africaine en qualité de Président en exercice, a de quoi surprendre les observateurs avertis. Celle du Ghana, pays de Kwamé Nkrumah, le plus fervent Président Africain Panafricain de son temps (1963-1966) sonne comme un revirement spectaculaire, difficilement compréhensible.

 La seconde liste, présentée ci-dessous, répertorie les pays ayant choisi de s’abstenir lors du vote :  Algérie; Angola; Burundi; RCA; Congo Brazzaville; Guinée Équatoriale; Mali; Mozambique; Namibie; Sénégal; Afrique du Sud; Soudan du Sud; Soudan; Ouganda; Tanzanie; Zimbabwe et Madagascar. Soit un total de 17 pays sur 54. Pourcentage : *31,48* *%*.

Deux présences sont frappantes dans cette liste, parce que relativement inattendues. Il s’agit de celle du Sénégal, généralement très proche des positions internationales de la France et de celles de la RCA qui, au regard du contentieux qui l’oppose actuellement aux pays Membres de l’Organisation du Traité Nord Atlantique (OTAN) sur la présence Russe sur son territoire, aurait pu aisément se retrouver parmi les pays ouvertement opposés à cette résolution.

Le troisième groupe des pays Africains recensés dans cette typologie, est celui des Nations qui ont choisi de s’exprimer par le biais de leur absence physique dans la salle du scrutin. Classés dans cette catégorie, l’on retrouve : Cameroun; Burkina Faso; Éthiopie; Eswatini; Guinée Conakry; Guinée Bissau; Maroc et Togo. Soit un total de 08 pays sur 54. Pourcentage : *14,81* *%* .

 En matière de positionnement diplomatique, il convient de ranger cette catégorie dans le bloc des abstentionnistes. Deux des pays figurant sur cette liste ont été des pupilles de la société des Nations (Traité de Versailles du 27 juin 1919) et des Nations Unies (Charte de l’ONU du 24 Octobre 1945). Un autre pays, l’Éthiopie, a longtemps été et reste (jusqu’à ce jour) un Empire qu’aucune nation n’est parvenue à coloniser.

 Deux autres membres de ce groupe sont des Royaumes: l’Eswatini (ancien Royaume du Swaziland) en Afrique australe et le Royaume du Maroc en Afrique du Nord. Bien qu’aucune caractéristique révélée ici sur le parcours individuel des pays se retrouvant dans cette catégorie ne puisse expliquer leur choix, il reste vrai que la plupart de ces Nations ont une très longue expérience avec le droit international appliqué aux territoires sous domination (plus de cent ans pour le Cameroun et le Togo, et pour l’Éthiopie, en qualité de pays fondateur de la SDN et de l’ONU).

La dernière catégorie de pays s’étant exprimés sur cette résolution « anti-Russie », est probablement celle où la position Africaine était le plus attendue par l’homme (ou la femme) de la rue, dans la plupart des pays du continent : Il s’agit de la liste des pays condamnant sans réserve les termes et les intentions de cette résolution. Force est de reconnaître qu’à ce propos, « la montagne a accouché d’une souris », puisque seul l’Erythrée, sur les 54 pays du continent a clairement voté contre cette résolution onusienne, soit un pourcentage de *1,85* *%*

Quoique l’on puisse penser, une tendance se profile cependant à l’horizon : La conscientisation progressive des Africains sur la nécessité de mieux défendre désormais leurs intérêts, au lieu de servir de caisse de résonance pour la défense de ceux de « leurs alliés ». Dans cette nouvelle posture salutaire, mais qu’il faudrait renforcer davantage, il convient de ne jamais oublier le rôle très questionnable joué par l’OTAN dans l’assassinat d’un Chef d’Etat en fonction en Afrique : Muammar Al Khadafi de Libye, le 20 Octobre 2011 à 12h30 près de Syrte, son village natal.

L’OTAN qui, aujourd’hui prétend se présenter au monde comme une organisation militaire défensive, peut-elle daigner expliquer aux Africains ce qui justifie son implication majeure dans cet assassinat, alors qu’aucun char Libyen, aucun avion des forces aériennes de ce pays n’avait attaqué aucune portion de territoire contrôlé par l’OTAN?

 Comme indiqué dans mon ouvrage consacré à ce forfait, qui a plombé l’élan économique amorcé par l’Afrique (Vie et mort de Muammar Al Khadafi : Quelles leçons pour l’Afrique ? Yaoundé, Éditions Afric’Eveil 2012 disponible sur amazon), plusieurs réactions de publication furent enregistrées dans le camp occidental après ce meurtre odieux :

 Voici ce que proclama Nicolas Sarkozy, président de la France, ce 20 octobre 2011:  » Une étape importante dans la bataille du peuple Libyen pour se libérer de la dictature et du régime violent qui leur fut imposé pendant plus de quarante ans ! »

Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Togh Rasmussen, eût l’outrecuidance de délivrer le message suivant, en ce jour fatidique :  » L’OTAN et ses partenaires ont rempli avec succès le mandat que leur avait confié l’ONU de protéger le peuple de Libye. J’appelle tous les Libyens à mettre de côté leurs différences et à construire ensemble un futur plus reluisant « . Tout est dit et tout est clair.

Quelle fut la réaction de la Russie ce jour ? 

Sergei Lavrov, affirma que « le meurtre de Khadafi constituait une violation des conventions de Genève qui interdisent les exécutions sommaires des prisonniers de guerre ». Et le Premier ministre de l’époque, un certain.* Vladimir Poutine, de se demander « si l’exécution sanglante publique et sans procès d’un Président était conforme aux Canons de la démocratie ». Nous, Africains, devrions enfin comprendre que les Occidentaux, tout comme les Russes, défendent chacun et avant tout, leurs intérêts, en prenant les décisions que nous connaissons.

Il n’y a rien de plus normal que cela

Le temps est arrivé, pour les Africains d’avoir le courage et la dignité de défendre enfin leurs positions par rapport aux intérêts de leurs peuples qui n’ont que trop souffert de leur défaitisme (je parle des élites dirigeantes).  Le changement de mentalité dont il s’agit et qui s’avère indispensable pour la refondation de notre continent vise à atteindre un seul objectif : Permettre aux Africains de (re)devenir les maîtres de leurs destinées. Est-ce un crime ?

Islam en Afrique et Islam africain

Par Robert Chaudenson

Dans l’indifférence générale des «politiques», due surtout à leur ignorance des réalités de terrains dont ils ne connaissent que les hôtels de luxe, les ambassades et les salons VIP des aéroports, je pose, depuis vingt ans, les problème de l’Islam africain, pour avoir constaté l’évolution des choses en Afrique continentale même, mais aussi à l’Ile Maurice et aux Comores par exemple. Khadafi d’abord, puis les Emirats ont essayé, depuis longtemps, d’y prendre pied, en particulier en «payant» les conversions à l’Islam comme en rémunérant les porteuses de voile ou en offrant de créer, à leurs frais, des université islamiques locales. Aux Comores, ce projet a été contré, mais pour combien de temps, par la création en 2003-2004 d’une université comorienne mixte dont le premier président fut mon ami l’anthropologue Damir Ben Ali qui vient de quitter cette fonction; elle accueillait à ses débuts un gros millier d’étudiants dont 43% de filles; en 2011-2012, 6500 étudiants y sont inscrits, mais je n’ai pas d’informations plus récentes.

L’islamisation radicale ou plus précisément la «wahabisation» du Sahel est un processus engagé, sournoisement ici, ouvertement là, depuis longtemps en tout cas; depuis ces époques, les événements de Tunisie, d’Egypte et de Lybie, si prématurément et imprudemment qualifiés de «printemps arabes», quand ils ont plutôt parfois des couleurs et des parfums d’automnes, ont conduit, entre autres, aux situations, certes diverses mais toutes inquiétantes, du Nord-Mali, du Nigéria, du Niger et de la RCA sans même parler du Soudan.

L’évolution, le plus souvent ignorée, a commencé depuis bien longtemps; cela allait du paiement des conversions à l’Islam (stratégie inattendue chère, de façon plus inattendue encore, à Khadafi, qui, dans son rêve de panarabisme à son profit, à une époque, offrait des tarifs spéciaux pour les chefs d’Etat qui se convertissaient à l’Islam (un million de $!), comme Albert-Bernard Bongo qui en a bénéficié en devenant Omar, ou les Premiers ministres dont le tarif de conversion était moindre (500.000$). À la même époque, le Colonel lybien avait lancé, selon les mêmes principes mais à des tarifs plus modestes, une offensive sur l’Ile Maurice d’où les Lybiens ont fini par se faire expulser par le gouvernement; ces stratégies sont allées jusqu’au versement de sommes très modestes à des femmes africaines (au Burkina Faso par exemple), qui consentaient, pour trois sous, à se voiler complètement, en passant par le développement d’un enseignement islamique intégriste (avec, à la clé, des bourses pour les universités du Golfe). Tout cela est évidemment financé à coup de pétro- et de gazo-dollars!

Cet enseignement islamique intégriste d’importation, surtout au niveau de l’enseignement coranique de base, est naturellement un concurrent redoutable pour l’école musulmane traditionnelle de l’Afrique, vu les moyens, quasi-infinis, dont il dispose (argent et bourses). L’islam traditionnel africain, infiniment plus libéral, ne peut résister à une pareille concurrence aux ressources financières inépuisables!

S’ajoutent même à ces stratégies, comme au Tchad et au Niger, des projets d’enseignement prétendument bilingues (français et arabe), dans lesquels, en réalité, la partie arabe du programme est exclusivement religieuse, seul l’enseignement général, en portion congrue, étant donné en français. De tels projets sont soutenus, à coups de milliards de dollars, par la Banque Islamique de Développement, ce qui est normal, mais aussi acceptés, de façon plus inattendue, sans doute inconsciente mais assurément funeste, par l’UNESCO et même, semble-t-il, par la Francophonie, à travers l’OIF!

Ces constats m’ont conduit, non seulement à tenter (en vain) d’alerter sur cette situation (quoiqu’elle ne me concerne en rien de façon directe) et m’ont amené aussi, en raison, d’une certaine expérience de ces terrains, à proposer des mesures qui pourraient être mises en uvre pour contrer de telles stratégies puisqu’on ne veut décidément rien faire d’autre que pleurnicher une fois que le mal est fait!

Ces constats m’ont amené à des remarques et, au delà, à des suggestions qui ont souvent paru étranges voire provocantes aux hiérarques du Quai d’Orsay ou du Boulevard Saint Germain comme des institutions internationales, quand ils ont eu la rarissime curiosité de prendre connaissance de mes écrits sur ces questions.

En effet, tout cela se passe à l’insu bien sûr, ou en tout cas, dans le silence prudent des responsables de la politique française et francophone dans ces zones, dans la mesure où il y en a une. Ces derniers, en effet, sont comme les petits singes de la sagesse orientale, qui se cachent les yeux, les oreilles et la bouche pour ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire… du moins pendant les trois ou quatre années, confortables et fort rémunératrices, qu’ils passent en fonction diplomatique dans ces Etats. Bien sûr, finissent par survenir, en des lieux de plus en plus nombreux et sous des formes de plus en plus radicales, des événements sur lesquels on ne peut plus continuer à fermer les yeux mais qu’on peut toujours utiliser pour pleurer, comme dit le bon peuple!

Comme je l’ai dit et répété depuis vingt ans et pour faire court, l’Afrique n’a que trois atouts qui pourraient permettre de résister à la redoutable invasion de cet islam wahabite, si on en avait le désir.

Allons en bonne rhétorique classique, du moins important au plus important.

1. Le premier est, de façon un peu étonnante, l’école coranique traditionnelle, la «médersa» (ou les diverses variantes de ce mot, médrasa, etc.). En effet, elle perpétue la tradition séculaire d’un Islam africain ouvert et libéral. Paradoxalement, on devrait donc aider les médersas traditionnelles pour leur permettre de résister à la concurrence et à l’influence des riches et nouvelles écoles d’un Islam intégriste conquérant et qui ne cesse de progresser au détriment de la religion africaine traditionnelle. L’illustration la plus évidente et la moins discutable a été la destruction des monuments comme des documents religieux séculaires de Tombouctou!

2. Les femmes. Chacun sait le traitement que leur réserve l’intégrisme musulman. Or, en Afrique, elles constituent un moyen puissant de résistance à ces minorations voire à ces brimades, par le statut et la place qu’elles tiennent dans les sociétés comme dans les cultures sahéliennes africaines (tant au plan économique que sociétal) et qui n’ont rien à voir avec ceux des pays de l’Islam moyen oriental et des sociétés arabes. L’éducation des filles est donc naturellement un objectif majeur, ce que chacun répète d’ailleurs à satiété depuis des décennies, sans que grand chose se passe. Dans les rues de Niamey, je l’ai à nouveau constaté lors de mon dernier séjour au Niger, aux heures scolaires, on voit bien plus de filles que de garçons!

3. La bière. Ce dernier élément est sans doute, lui aussi, un peu inattendu, mais c’est peut-être le plus fort, à court terme, car je vois mal comment un Islam, même radical et conquérant, pourrait éradiquer des moeurs africaines cette boisson qui constitue assurément le transfert de technologie européen le plus réussi.


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