Grand reporter devenu romancier, le Néerlandais Frank Westerman relate la tragédie qui a causé la mort d’au moins 1200 personnes en 1986 au Nord-Ouest, et en épuise les multiples interprétations
«Yaoundé, le 25 août 1986. Dans une vallée retirée de l’ouest du Cameroun, 1 200 personnes au moins sont mortes pour une cause encore inconnue.» Sans fioritures, une dépêche de l’agence Reuters ouvre ce récit enquête. Les faits sont là, bruts, inexplicables, réels.
La tragédie s’est produite dans la vallée de Nyos, à 300 km environ au nord-ouest de la capitale camerounaise, dans la nuit du 21 au 22 août, il y a presque trente ans. «La plupart des victimes semblent avoir péri pendant leur sommeil. On ne relève aucune trace de destruction, ni sur les habitations ni sur les plantations.» En revanche, les animaux sont tous morts, chiens, vaches, oiseaux, insectes…
[i «Le soir du 21, une explosion a été entendue dans les alentours. Des témoins disent avoir vu les eaux claires du lac Nyos], tout proche, se colorer en rouge après qu’un coup de vent soudain eut causé des vagues gigantesques.»
Grand reporter devenu romancier, le Néerlandais Frank Westerman entend non seulement relater l’événement, mais encore en épuiser les multiples interprétations. En cela réside l’originalité de ce livre inclassable et sa folle ambition. Phénomène géologique, châtiment divin, essai nucléaire, revanche magique des esprits ? Ne pas se fier à l’humilité de l’écriture: Frank Westerman veut tout dire, tout comprendre – rien de moins.

Le plus extraordinaire est qu’il y parvient: il y a chez cet ancien correspondant de presse un fantasme d’exhaustivité qui rappelle Georges Perec. L’auteur raconte la monumentale querelle scientifique qui a opposé Haroun Tazieff aux vulcanologues anglo-saxons menés par l’Islandais Sigurdsson. Car «les hommes sont vaniteux. Ils veulent asseoir leur réputation», par conséquent il n’est pas de vérité scientifique sans rapports de pouvoir, montre tranquillement l’enquêteur.
Parallèlement, des «faiseurs de mythes» ont «fourbi la fable de l’essai nucléaire (américain) dans la vallée de Nyos pour dénoncer l’exploitation bien réelle du Cameroun anglophone». Moralité, «les histoires évoluent, elles sont élaborées puis transformées», et Westerman n’a pas son pareil pour en cartographier les méandres, dans l’ouvrage « La Vallée tueuse ».
