Jacques Greg Belobo: Le baryton camerounais qui a conquis le monde entier

«Le genre de musique que je fais n’intéresse que ceux qui la connaissent»

S’il fallait vous présenter, que diriez-vous?
Je suis tout simplement un camerounais chanteur d’opéra, qui a commencé à chanter dans son pays natal et qui chante actuellement dans des opéras et productions de concerts classiques dans le monde entier.

Parlez-nous de votre rencontre avec le chant lyrique?
J’ai commencé par le chant choral au Cameroun. Parce que vous avez des chorales qui font du gospel, les chorales traditionnelles et aussi des chorales classiques, moi j’étais dans une chorale classique. J’écoutais de plus en plus la musique classique et j’ai commencé à l’apprécier, et puis j’ai décidé de faire cette musique. C’est vrai que ce n’était pas facile. Vous savez au Cameroun, ce n’est pas simple de dire, je vais faire ci ou ça, et de faire la musique classique. Normalement, ça veut dire étudier la musique classique. Ce n’est pas la variété, où tout le monde s’y retrouve un matin, on va dans un studio, on enregistre ses compositions. Quand on veut faire de la musique classique, on l’étudie. On va dans une école de musique ou dan un conservatoire pour l’étudier et au Cameroun, il n’y a pas ces institutions là.

Et comment avez-vous procédé?
Je me demandais moi-même si ce n’était pas incongru de vouloir faire de la musique et du chant classique. En tout cas, c’est ce qui me permettait d’avancer, car je me disais que, je sais ce que je veux faire. J’ai pris mon premier cours à 25 ans en 1997, Cela aurait été un gâchis pour moi d’aller faire de la variété camerounaise. Pour moi, ce rythme ne met pas la voix en valeur. Le jazz c’était possible mais le classique, c’est le must. Je gardais le Jazz en réserve parce que comme on dit, le classique ce n’est pas notre culture. Et au cas où ça ne marchait pas, je pourrais toujours me retourner vers autre chose. Pour y arriver, il fallait aller quelque part pour étudier. Où cela peut-il se faire? En occident, bien évidemment. Pour moi c’était facile en France parce que je parle français. C’est comme beaucoup d’autres Camerounais dans d’autres domaines. Comment donc aller en France quand on est pas issu d’une famille aisée, comme celles là où c’est facile de le dire et de le faire. Donc pour moi, il faut trouver les moyens d’y aller. Quelques temps après, je vois une affiche pour un concours de chant en Côte d’Ivoire, à Abidjan. Le premier prix est une bourse pour l’académie d’été de Nice. Pour moi, c’est l’occasion à saisir. Je m’inscris et je me prépare pour concourir. Je passe le concours et je gagne le premier prix. Comme promis, j’obtiens la bourse pour venir en France. Je suis donc allé à l’académie d’été de Nice où j’ai étudié pendant deux semaines. Et durant mon séjour à l’académie, j’ai auditionné dans un ensemble professionnel à Aix-en-Provence avec lequel j’ai signé un contrat qui m’a permis de revenir en France pour travailler. Mais moi, je voulais d’abord étudier, parce qu’on peut déjà avoir un talent, mais il faut le développer. Je savais quel était mon niveau, je savais ce que je devais étudier si je voulais aller plus loin. Je me suis inscrit au conservatoire de Nice, Après j’ai réussi le concours du conservatoire supérieur de Paris, où j’ai étudié et terminé mes études avec un Master en chant, et c’est la vie professionnelle qui commence. En terminant mes études à Paris, j’avais déjà mon premier contrat en Allemagne, à l’Opéra de Munich. J’y suis allé et depuis je suis en Allemagne. J’y travaille, et je travaille aussi un peu dans le monde entier.

Quels sont vos répertoires de prédilection?
Il faut déjà connaître le répertoire classique et c’est énorme. Dans cela, j’aime bien les compositions de Verdi, de Wagner, Mozart les mélodies françaises et les Lieder allemand. Ce que j’ai comme rêve, c’est qu’un jour, je puisse m’exprimer en faisant un mélange de ces deux cultures qui cohabitent en moi, celle de mon espace de vie et celle de mes origines. Le monde est fait de métissage et je me dis, pourquoi pas dans la musique.

Que peut ressentir un Camerounais qui se déploie dans un domaine musical totalement déconnecté de ses racines d’origines?
Je ne sais pas si j’ai un sentiment particulier. Ce que je peux dire, c’est par rapport au gens qui font mon audience, au public qui vient m’écouter. C’est vrai que c’est difficile, comme vous le dites je ne suis pas connu du grand nombre. Le genre de musique que je fais n’intéresse que ceux qui la connaissent. Elle est très mal connue par les Africains en général et les Camerounais en particulier. Mais tous ceux qui ont écouté ma musique une fois ont été ravis, et ont apprécié. Ils sont partis en promettant de revenir à la prochaine représentation. Je me rappelle mes premiers concerts au Cameroun, il y a une dizaine d’année au CCF. Il n’y avait pratiquement personne dans les salles puisque je racolais presque mes connaissances. Aujourd’hui c’est le contraire. Je crois que quand on découvre cette musique, on reste et on en redemande. C’est pour cela que je veux vulgariser cette musique au Cameroun. J’avais déjà commencé même en étant au conservatoire. Plus je fais des concerts, plus j’ai du public. Maintenant, je fais mes concerts au Cameroun, par exemple le concert « Noël des Enfants de Chez Moi » que je donne tous les deux ans à la basilique de Mvolyé qui a 4000 places, comparées au 300 places du CCF à mes débuts que je n’arrivais pas à remplir.

Vous êtes membres de la troupe du Semperoper de Dresde «L’opéra de l’état de Sax en Allemagne», comment ça se passe au quotidien?
Avant j’étais comme un fonctionnaire de cet Opéra. Quand on dit membre de la troupe cela veut dire que l’on appartient à cette troupe là. Il y a un répertoire dans une saison qui va de septembre à juillet. Dans une saison, j’ai environ 35 représentations à honorer dans cet Opéra et différentes productions qui attirent plus ou moins de public. Cela est programmé au moins deux années à l’avance. Dès que j’ai ce programme, j’ai tout le reste du temps à ma guise. Mes agents se chargent donc de combler les espaces avec des représentations partout dans le monde. Les propositions arrivent surtout d’autres Opéras.

Vous avez travaillé au cours de votre carrière sous la direction de quelques-uns des plus grands chefs d’orchestres à travers le monde, lequel vous a le plus marqué?
Il s’appelle Zubin Mehta, c’est l’un des plus grands chefs d’orchestre du monde. Quand j’ai décidé de faire du chant lyrique, d’apprendre l’opéra, c’est parce que j’ai écouté un concert des trois ténors Luciano Pavarotti, Placido Domingo, José Carreras et c’est lui qui dirigeait ce concert donné par les trois ténors à Los Angeles. C’est à l’ouverture du mondial américain en 94. Donc dans ma tête, il est resté un mythe, jusqu’à ce que je le rencontre. C’était une grande émotion pour moi, quand finalement, j’ai pu faire une production avec lui à l’Opéra de Munich. Depuis ce temps, nous avons fait beaucoup de productions ensemble. Notre dernière production ensemble était la production du « Don Giovanni de Mozart » avec la philharmonie de Tel Aviv, dans plusieurs villes d’Israël, en Février 2009.

Jacques G. Belobo
Jacques Greg Belobo)/n

Vous êtes le premier artiste lyrique africain sélectionné pour le prix «Best singer in the world» décerné par la BBC. est-ce un rêve qui devient réalité?
Il y a un concours de la BBC que l’on appelle « Best singer of de world » On sélectionne partout dans le monde les meilleurs chanteurs. Il en reste une petite poignée qui va participer aux concours qui passent en live à la télé. Et j’étais parmi ceux-là. Bien sûr pour moi c’est déjà un challenge d’arriver parmi la douzaine des sélectionnés. C’est à Cardiff au siège de la BBC que se déroulait le concert à l’issue duquel nous avons tous eu un prix de participation à la finale. C’est juste un challenge de plus pour moi, comme les concours. Cela a toujours été des étapes à franchir pour atteindre les objectifs.

Quelle est la pire chose que vous pouvez craindre en tant que professionnel du chant?
C’est comme tous les professionnels, tout ce qui touche le corps. Un footballeur va craindre pour son pied, jusqu’à ce qu’il se casse la jambe. Mon pire cauchemar c’est d’être aphone. C’est-à-dire me casser les cordes vocales. Heureusement depuis le début de ma carrière ce n’est jamais arrivé, je n’ai jamais eu à annuler une représentation. Il y a une hygiène de vie à avoir et il faut prendre toutes les précautions possibles. Moi j’entretiens tout mon corps et la voix en fait partie. Si j’ai mal à une partie de mon corps, je ne vais pas bien chanter. Lorsque j’ai une représentation, il y a des précautions aussi à prendre comme ne pas consommer de matières trop grasses. Cela ne veut pas dire que je m’en prive. Au contraire, moi je n’interdit rien du tout.

Avez-vous des initiatives pour encourager des jeunes camerounais qui voudraient suivre vos pas?
Actuellement j’ai ma carrière qui m’occupe, mais en dehors la question des jeunes est primordiale pour moi. Il y a le projet du concert de noël que je fais au Cameroun tous les deux ans. Pour moi, c’est déjà vulgariser cette musique auprès des jeunes. Leur montrer que c’est faisable. Depuis quatre ans, je fais beaucoup d’ateliers et de master classes de techniques vocales pour rencontrer les jeunes. J’ai constaté que lorsque c’est un européen qui initie et tient ces master classes, les enfants y vont sans grande motivation. Mais lorsque c’est quelqu’un comme moi qui enseigne les techniques vocales, cela les stimule et ils sont plus attentifs. Ils y croient. C’est la raison pour laquelle je travaille avec les CCF pour multiplier le nombre des masters classes un peu partout en Afrique, multiplier les concerts au Cameroun et dans d’autres pays d’Afrique.

Quels sont vos projets professionnels?
Le projet qui me tient à c ur c’est la création d’un conservatoire de musique au Cameroun, à Yaoundé. Actuellement je travaille sur ce projet avec mon équipe et des partenaires, pour voir dans quelles conditions on peut le réaliser pour la zone CEMAC. Pour cela, j’envisage de faire une série de concerts en Europe afin de sensibiliser les gens et recueillir des fonds destinés à la réalisation de ce conservatoire. D’ici l’été, j’ai également un CD qui va sortir et l’ensemble des bénéfices ira aussi pour ledit projet. Je voudrais ainsi sensibiliser le plus grand nombre à cette cause. Car le développement, ce n’est pas seulement une affaire d’infrastructures de base, c’est aussi une mise en valeur de la culture des peuples.

A quand une représentation de votre répertoire au Cameroun?
Mon prochain spectacle au Cameroun c’est en décembre 2010. Une représentation de « Noël des Enfants de Chez Moi » .

le baryton sur scène
Jacques Greg Belobo)/n