Au Cameroun, nous devons refuser de capituler intellectuellement

Par Vincent-Sosthène Fouda, Président du Mouvement camerounais pour la social-démocratie (M.C.P.S.D)

Une génération peut éclairer le présent et offrir à la suivante de choisir l’épaisseur et les couleurs de son propre présent. Voilà pourquoi même humiliés mais jamais brisés nous devons soutenir les étudiants dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Fanon disait que chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir », c’était à une époque où les damnés de la terre inspiraient réflexions joutes et engagement.

Nous devons refuser malgré les intimidations, les brimades, la torture de capituler intellectuellement puisque nous ne prendrons jamais les armes contre nos propres frères, nos compatriotes même si eux ils sont armées. Traiter les citoyens camerounais comme du bétail, les pourchasser comme du gibier, nous devons rappeler que c’est une défaite, oui la violence ne peut être que le fruit d’une défaite.

Au pays de Mongo Beti pour une fois convoquons la raison. Oui au pays de Bernard Fonlon cherchons de quel limon se nourrit cette volonté de barbarie qui habite nos forces de l’ordre.

Au pays de Vroumsia Tchinay, refusons de nous limiter à la surface des choses. Il nous faut rester déterminés à gagner la bataille la seule qui faille, celle d’un pays debout droit dans ses bottes et qui respecte le devenir de chacun de ses enfants.


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Cameroun: évidemment, Mongo Beti n’est pas mort!

Par Man Bene

L’ouvrage Langue d’écriture, langue de résistance. Mongo Beti et les romans du retour paraît en France en 2014. Sa forte popularité dans le milieu des chercheurs ne surprend personne. L’objectif du présent article, remanié de ce livre, est de rendre immortelle la pensée de l’écrivain Mongo Beti, victime de la « censure officielle » des gouvernants périclités en mal de génie et de contradictoire.
Le 30 juin 1932, au fond d’un village pittoresque (Akométam) de l’ancienne province Centre-Sud du Cameroun, un esprit averti est né.

À cette époque, rien ne semble présager l’hypothèse qu’un enfant prodige vient de naître et que l’opiniâtreté le caractérisera au point d’en faire un révolté engagé pour la cause noire. Si Akométam pouvait être fier de compter parmi ses fils ce digne enfant, convaincu par ses options idéologiques et sociales, ce village aura à peine vu grandir sa progéniture. Le jeune enfant, très tôt, doit aller à l’école primaire missionnaire de Mbalmayo, hors de son village natal. L’éloignement commence, pour la première fois, par le fait du devoir d’instruction et donc d’initiation à la science occidentale. Si seulement une dizaine de kilomètres l’éloigne de son père, qu’il a comme modèle, et de sa mère, pour qui il éprouve des liens viscéraux d’attachement, avec l’entrée au secondaire, la distance géographique va davantage s’imposer. Ses études au lycée Leclerc à Yaoundé vont le contraindre, une nouvelle fois, à la déchirure du dépaysement et du sevrage de tout ce qu’il a de plus cher : sa famille et sa naturelle campagne idyllique.

Un constat est à faire à ce niveau : l’éloignement qui a été très tôt le principe de vie du désormais adolescent, ne le quittera plus jamais. En réalité, bachelier à 19 ans (1951), son parcours académique le contraint de nouveau à l’éloignement vis-à-vis de ceux et du monde qu’il ne devra, au final, que côtoyer en pensée et en imagination. Son départ pour la France, grâce à une bourse d’études, le destine, dès 1951, à 40 ans de vie en Europe ponctués de 32 ans d’exil ininterrompu et donc d’interdiction de séjour au Cameroun. Dès lors, vivre hors du contact soit épisodique, soit régulier avec les siens lui est désormais impossible. Pourtant, malgré cet état de choses, Mongo Beti, vous avez bien compris qu’il s’agit de lui, a su maintenir son attachement sans faille à son pays.

L’ensemble de sa création littéraire et journalistique, très prolifique d’ailleurs, s’est donné pour unique objectif de libérer l’Afrique et les Africains de la dictature externe (colonialisme/néocolonialisme) et interne (néobourgeoisie triomphante, bureaucratie galopante, éternisation au pouvoir) qui sont de véritables embûches à tout espoir de développement du continent noir. Le franc parler de Mongo Beti va l’exposer au sacrifice extrême, c’est-à-dire perdre, tout perdre, mais alors, attirer contre lui les foudres de ceux qu’il critique, attaque et accuse.

Son style frondeur et son ton acerbe dessinent clairement une intention tenace d’en finir avec ce qu’on appellerait le pouvoir central et tenancier des régimes fantoches des « bois africains ». Voici comment, dans son roman Trop de soleil tue l’amour (1999 : 50), il formule son exaspération et, par la même occasion, le bien-fondé de son combat : [i « Les Français nous sortent par les yeux avec leur francophonie et leur franc CFA [.] ; il est temps qu’ils nous foutent définitivement la paix ici et s’en aillent chez eux »].

Cette volonté de combattre pour l’indépendance (réelle) tient quand même d’une définition qu’il s’est donnée de son écriture dans ses réflexions tirées de l’ouvrage d’Ambroise Kom (2002 : 191) intitulé Mongo Beti parle : « La vocation de l’écrivain n’est pas de bénir le monde tel qu’il va. C’est au contraire de dire : « Ça ne va pas » ». Cela consiste à penser que les forces intérieures doivent aussi être évaluées dans ce qu’elles présentent comme lacunes. C’est pourquoi Mongo Beti estime, dans le même ouvrage de Kom (2002 : 182) que « le combat contre le colonialisme ou le néocolonialisme commence par le combat contre les forces qui, localement, servent de relais au néocolonialisme. »

Malheureusement, Mongo Beti meurt en 2001, le 7 octobre, des suites de ce qu’il a lui-même combattu de son vivant à savoir : l’absence d’infrastructures suffisantes pouvant garantir la santé des citoyens. Les Africains et l’Afrique sont restés dans un état de fébrilité qui fait que le désir de prospérité ne puisse être assuré si l’on est en proie au taux de mortalité le plus élevé du monde. Mongo Beti s’en est allé mais en nous laissant la charge de continuer l’entreprise d’émancipation des masses. Il l’a héritée d’Um Nyobé qui lui avait personnellement dit ceci : « C’est vous qui prendrez la relève », Kom (2002 : 53).

Puisque le combat est loin d’être achevé ; puisqu’il y a toujours cet essoufflement de la pensée critique en chacun ; puisque ce sont toujours les mêmes qui gouvernent et que rien ne change pour la masse muette ; puisque le tâtonnement et l’approximation imposent au peuple la gouvernance de la médiocrité ; puisque l’évacuation sanitaire en Europe est la seule voie de salut pour certains d’échapper à la mort dans ce qu’il convient de nommer avec des réserves les « hôpitaux » du Cameroun ; puisque l’éducation, ainsi abusivement qualifiée au Cameroun, reste à définir ; puisque la notion de patrimoine national est une faveur de caste ; puisque la politique en vigueur au Cameroun est un manteau utile aux vautours, alors, toute la force de la pensée de Mongo Beti demeure vive et actuelle. Il faut donc se l’approprier.

Puisse Mongo Beti exister en chacun de nous afin que son discours et son idéal ne puissent disparaître pour toujours. Les grands esprits ne meurent-ils pas ? Mongo Beti est de ce genre singulier dont la pensée profonde résonne encore aujourd’hui et fait tressaillir ceux contre qui elle est dirigée. Son credo, à cet égard, était clair : « même mort, j’aimerais faire peur ».

En ce quinzième anniversaire marquant la « présence parmi nous » d’Alexandre Biyidi Awala, nous tenons à demander au chantre de la dignité noire inconditionnée de bien vouloir accueillir cette salutation fraternelle de la tribu bene à laquelle il appartenait fièrement : bia souk wa a ndzo meyoñ mese (nous te saluons, toi le porte-parole de toutes les nations).

Mongo Beti.
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Il s’appelle Mongo Beti Eza Boto. la mort du fils de la forêt!

Par Vincent Sosthène Fouda, président national du Mouvement Camerounais Pour la Social-Démocratie (MCPSD)

Le docteur Etoundi, les cheveux blancs poivrés, quitta précipitamment le bureau, il descendit deux par deux les marches menant au rez-de-chaussée de l’hôpital général de Yaoundé situé en plein pays Mvog Mbi au lieu-dit Ngousso. Il fouilla dans sa poche entre mouchoir jetable, mbita-cola, et autres écorces qu’on n’attendait trouver dans la poche d’un médecin, il sortit une carte téléphonique, en effet depuis le départ du professeur Nkoulou, les bureaux de médecins n’était plus doté de téléphone, restriction budgétaire oblige. Il composa un numéro commençant par 22 et attendit la main gauche dans la poche de sa blouse verte. Il était calme et peu de monde semblait lui prêter attention.

Au même moment, au carrefour dit de la poste central, à l’angle gauche menant au Mess des officiers, avant la statue de Charles Atangana Tsama en pays Mvog Tsoung’Mballa, Atemengue se dirigea vers une BMW. Il ouvrit la portière, le chauffeur ne lui prêta aucune attention, il fumait une cigarette et lisait un livre.

* Vous attendez depuis longtemps ? Demanda Atemengue l’air absent

* Pas trop, répondit le conducteur avec un accent guttural des Montagnes de l’Ouest Cameroun. Je présume que vous que vous préférez conduire vous-même.

* Oui, je vous déposerai sur le chemin, je vais du côté de Biyem-Assi en passant par Melen, alors en vous déposant à Total Melen vous trouverez plus facilement un taxi si vous allez à Meyong-Meyeme.
* Non je peux en prendre un ici.

* Il faudrait que je vous parle pendant quelques minutes, je ne peux le faire qu’en roulant. Atemengue démarra donc, en quelques minutes, ils avaient passé devant le Mess des Officier, l’hôpital militaire et le monument de la réunification, uvre du Jésuite Angelbert Mveng et du philosophe Jean-Baptiste Obama et surtout du sculpteur Gédéon Mpando le moins connu et le moins reconnu des trois mousquetaires.

* J’ai regardé ton papier sur Mongo Beti, il y a quelques années, un vrai travail de professionnel. Je voudrais que tu le fasses disparaître des archives de la télévision nationale maintenant qu’il ne présente plus aucun danger pour nous.

Atemengue avait parlé d’un trait, sans sourciller et sans permettre à l’homme à l’accent des Montagnes de l’Ouest de lui poser de question. Ils arrivèrent ainsi au carrefour Total Melen, il se gara à l’entrée de la chapelle du lieu et lui souhaita bonne chance.

Mongo Beti avait a été admis très tôt ce matin-là, à l’hôpital général de Yaoundé, pour une dialyse, une opération bénigne pour les professionnels, il venait ici depuis deux ans. Il n’a rien remarqué d’anormal et l’absence du docteur Etoundi passa presque inaperçue dans son esprit. Il y a eu une coupure d’électricité, puis le groupe électrogène qui n’a pas démarré mais c’est des choses qui arrivent très souvent ici, lui a dit une jeune infirmière dont il tarda à remarquer la poitrine généreuse. Mais à présent, il est allongé dans l’obscurité, nu, la respiration régulière, le corps apaisé. Il fait un effort pour lever la main, il voudrait regarder le cadran de sa montre, la nuit tombe tôt sous les tropiques surtout quand il pleut.

Il n’y avait personne dans sa chambre pour l’aider à passer un coup de fil à la librairie à Tsinga pour prévenir sa fidèle secrétaire. Les choses vont prendre un peu plus de temps, il pourra donc passer la nuit dans cet hôpital infect.Il se mit à penser à son épouse dans la lointaine ville de Rouen où il a vécu plus de vingt ans. Il n’y avait personne pour la prévenir. Il voulait écouter du jazz, la musique classique nègre. Puis il s’assoupi.

Nna Mindzié, poussa la porte de la chambre 312 de l’hôpital général, Alexandre son dimant brut qu’elle a toujours voulu tailler dormait paisiblement. Il n’avait plus mal, alors elle décida d’attendre. Elle n’avait pas vu son fils depuis de nombreuses années, elle lui prit donc la main et se mit à lui chanter une berceuse qu’il connaissait depuis sa venue au monde.

Tara angowoé ma ai mfolo mon Mefolo afololofo, mekad kad Mefolo afolofolo, mewoal’a fia, Mebara meke toe : dmintié mi mon ; E dzom aso mod a abum : mbol minité Mebara leko toé : mebil’a mo. Ye mengai elog ekom, elog abie ? Ye mene a ekom ene teg ai mon a mo ? Tena wabeze dzob se, obebege ngon. Dzob lekar dim se, ngon efaag, Dzob lekar dim se, ngon efaag, Dzob ane meseimba ane nnem ai zan Kada angadzo ai nia na te wake beme Obombogo ngon ebe, oza’ y’ etun Etun ebeme ntie, ma ai wa etom Kada mekol e, mvaa te ai mekol Ongenga ongos e, mesameza ebul Folo folo mon e Eye ye nkoa Nkog wadi biyié Okarege yoé hia Hia y ‘etere : Y’one Biloa nga Atangana Ntsama, Ene ane a nda he mintet mintet : Eba bakooa ngon, eba bakoa owondo Eba behog bekele bog minson E ee, a nena eee !

[ Traduction française ] Mon fils va m’exténuer par ce chant de nourrice Je chante, je chante, je chante et je me lasse Je chante je chante, je chante et je me l’abandonne De nouveau je le ramasse par tendresse maternelle Comme on est sensible au fruit de ses entrailles ! Derechef je le ramasse et le caresse entre mes mains Ai-je mangé l’herbe de la stérilité pour celle de la fécondité ? Suis-je de cette stérilité qui n’a point d’enfants dans les mains ? Ne copie pas le soleil, imite plutôt la lune Le soleil disparait alors que la lune brille Le soleil est aussi mystérieux qu’un sorcier brigand de minuit Le crabe a dit à sa mère : tu n’iras pas tarder. Tu passeras deux mois et tu reviendras dans le troisième. Si tu tardes davantage, tu auras affaire à moi. Le crabe a des pieds, mais l’ablette n’en a pas La crevette géante ne s’attrape qu’au neuvième coup d’épervier Bercer bébé, bércé bébé, Champignon du tronc d’arbre Tronc d’arbre moisi où pousse le champignon roux, Où germe le champignon, Serais-tu Biloa épouse d’Atangana Ntsama Dont la maison est pleine d’ouvrières ? Celles qui moule le pistache pendant que d’autres moulent l’arachide Tandis que d’autres vont chercher des c urs de palmiers Eee, a nena eee

C’est la berceuse des filles Etenga, elle l’avait reçu en héritage de sa mère Awala Mengue quand elle partît de Nkil-Ntsam pour le lointain village d’Akom-Etam au pays des Mvog-Manzé chez les Benë.
Durant le long exil de son fils, il lui est arrivée parfois de penser qu’il serait plus facile de baisser les bras, d’abandonner tout espoir. Mais ces jours-là, elle pense à son époux parti tôt, alors elle se dit, il faut que mon époux sache que je suis là pour ses enfants, pour Odilia, pour Amalia et pour Alexandre. Alors elle prend son panier à dos, parcours ses forêts, scrutent les limites, surveille si un de ses beau-frère ne lui a pas pris deux mètres de terrain, terrain pour lequel son époux aimant est parti sitôt.
Le docteur Etoundi, ne revint pas, si oui personne ne le vît, il avait oublié qu’il avait laissé là-haut dans cette chambre un patient. (A suivre)


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Dr Abel Eyinga : Vie et mort d’un juste.

Dans une tribune publiée dans le Messager, l’épouse du célèbre écrivain camerounais Mongo Beti parle du compagnon de son défunt mari

J’ai fait la connaissance d’Abel Eyinga à Paris en juillet 1964. Mongo Beti et lui se connaissaient depuis une dizaine d’années s’étant rencontrés lorsqu’ils faisaient leurs études en France l’un en Droit, l’autre en Lettres au Quartier Latin. Ils venaient tous les deux du Sud Cameroun, Abel Eyinga né en 1933 près d’Ebolowa, Alexandre Biyidi Awala né en 1932 près de Mbalmayo. Durant ses années étudiantes, Abel avait fondé La Revue Camerounaise à laquelle Mongo Béti contribuait. En 1961 leurs routes se séparent. Eyinga part au Cameroun pour être Chef de Cabinet du premier Premier ministre du Cameroun, Charles Assalé, sous la présidence d’Ahmadou Ahidjo. Biyidi, ayant refusé de rentrer au Cameroun, où la guerre civile faisait rage, prend un poste de professeur de Lettres dans la petite ville de Lamballe, en Bretagne. C’est là que nous nous sommes rencontrés en septembre 1962. En juillet 1964 nous sommes à Paris, où nous rencontrons Abel. Son expérience à la primature du Cameroun n’a pas duré longtemps. Son dynamisme et ses activités ont déplu. Il avait créé à Yaoundé le Cercle Culturel Camerounais avec Jean-Michel Tekam où se retrouvent de jeunes diplômés qui rêvent de façonner l’avenir du Cameroun, alors qu’on ne leur demande que d’être de dociles exécutants. Abel, bien des années plus tard, évoquant cette période, racontait comment un Français coopérant entrait chez le Premier Ministre sans frapper et donnait ses ordres. Abel Eyinga démissionne bientôt de son poste et quitte le Cameroun sans attendre d’être arrêté.

Il va un temps travailler à New York au secrétariat de Diallo Telli, représentant permanent de la Guinée à l’Onu. C’est de Paris qu’il se déclare candidat à l’élection présidentielle camerounaise de 1970 contre le dictateur Ahidjo, après avoir demandé en vain à Soppo Priso de l’être. Ce dernier était terrorisé à l’idée qu’on puisse savoir qu’on l’avait sollicité. Cela aurait suffi, selon lui, à sceller sa perte. En tout cas Abel Eyinga est condamné par contumace pour ce crime de lèse-dictateur. Il rendra compte de cet épisode dans son livre Mandat d’arrêt pour cause d’élections : de la démocratie au Cameroun : 1970-1978. (l’Harmattan 1978). Il est alors traqué en France par les services de Foccart qui cherchent à la faire expulser, de même que Mongo Beti et le Congolais-Zaïrois Cléophas Kamitatu : « Il faut se débarrasser de ces emmerdeurs », commente l’éminence grise dans ses Mémoires. En 1971, après le procès puis l’exécution de Ernest Ouandié à Yaoundé, dans des conditions iniques. Abel Eyinga, Jean-Michel Tekam et Mongo Beti projettent une réplique. Finalement ce dernier publie seul Main basse sur le Cameroun, aussitôt interdit par le Ministère de l’Intérieur, sur la demande de Ferdinand Oyono, ambassadeur du Cameroun.

Indésirable en France, Abel Eyinga est recruté comme professeur à la faculté de Droit d’Alger. Il se déplacera désormais avec un sauf-conduit algérien, ni la France ni le Cameroun n’acceptant de lui délivrer un passeport. Il se fait même refouler à Orly alors qu’il vient en visite pour Noël. Les policiers acceptent tout juste de transmettre à sa famille qui l’attend les cadeaux qu’il apporte à ses enfants. En 1978 Mongo Beti fonde la revue bimestrielle Peuples Noirs Peuples Africains. Abel Eyinga y publie, dans le numéro 2 (mars-avril 1978) : L’appareil Juridique d’une dictature fasciste francophile d’Afrique noire. Dans le numéro 55-58, Spécial Cameroun (janvier-août 1987) : La candidature de l’Ocld à l' »élection » présidentielle anticipée de 1984. Il avait en effet créé un parti : l’Organisation Camerounaise de Lutte pour la Démocratie. Paul Biya était devenu président du Cameroun en novembre 1982 succédant à Ahmadou Ahidjo démissionnaire. Le parti d’Eyinga ne put pas présenter de candidat contre Biya, tout comme sous Ahidjo. On était dans la continuité de la dictature. Dans ce même numéro spécial Cameroun Eyinga expose comment, en 1986, on refuse toujours de lui délivrer un passeport : le passeport, un droit ou une faveur, ou les tribulations d’un opposant en exil.

Après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, les dictatures africaines francophones furent obligées de lâcher du lest. La lutte contre l’influence soviétique ne pouvait plus servir d’alibi à la chasse aux Africains progressistes. En 1991 Abel Eyinga reçoit enfin un passeport Camerounais et peut, après trente ans, rentrer voir les siens, mais il le fait sous haute surveillance policière. Il vit désormais entre Paris et Ebolowa. Il fonde un parti La Nationale. Lui qui veut croire à l’instauration d’une vie politique tant soit peu normale présente une liste aux élections municipales de 1996 et de 2001 à Ebolowa. Peine perdue. Ses partisans sont agressés dans les bureaux de vote et il n’a aucune chance de voir se dérouler les scrutins de façon régulière. Malgré la maladie qui le frappe cruellement il ne renoncera jamais à dire ses convictions publiquement dans des bulletins et des conférences, répétant inlassablement les conditions pour que le Cameroun puisse enfin prendre le chemin de la prospérité et de la liberté.

En 2001 la disparition de Mongo Beti, qui avait lui aussi revu le Cameroun en 1991 et fondé la Librairie des Peuples Noirs en 1994, le frappe durement. C’est accablé de chagrin qu’il vint à Akometan dire adieu à son compagnon de toute une vie. Le mal qui le paralyse progressivement n’a rien de mystérieux, comme le disent certains. C’est la terrible maladie appelée polyarthrite rhumatoïde, maladie dégénérative, caractérisée par une atteinte évoluant par poussées vers la déformation et la destruction des articulations. Cette maladie est dite auto-immune c’est-à-dire que l’organisme même du malade s’autodétruit. Ce calvaire qu’il a vécu les vingt dernières années de sa vie est un étrange symbole du sort du Cameroun, qui l’a tourmenté toute sa vie, un corps qui sombre dans une infirmité misérable, rongé par ses propres enfants qui le dévorent.

Abel laissera le souvenir et l’exemple d’un homme juste et fort dans ses convictions, plein de foi, d’espérance et d’amour envers son pays et ses compatriotes, un homme de paix et de dialogue, dont plus d’un pays se serait enorgueilli et qui n’a rencontré dans le sien qu’hostilité et mépris du fait même de ses vertus.

Ecrivaine. Rouen le 28/01/14


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Cameroun: Odile Tobner, Mongo Beti… au féminin !

Femme de poigne, incontrôlable et éprise de liberté, l’épouse du défunt écrivain est une véritable curiosité

Difficile d’évoquer Odile Tobner sans faire référence à son illustre époux. Ecrivain, elle est en effet veuve d’Alexandre Biyidi Awala, alias Mongo Beti. Mariée à ce dernier depuis le 31 Août 1963, Odile Tobner a accompagné l’ uvre de son mari jusqu’à sa mort. Cette française d’origine bretonne dont la famille était gaulliste, croise le chemin de Mongo Beti en 1962. C’était la rentrée scolaire. Nous étions deux jeunes profs. En fait, j’ai découvert un jeune collègue qui débutait comme moi dans la carrière de professeur au lycée de Lamballe. On a eu des affinités assez rapidement parce qu’on aimait tous les deux, la discussion, la politique. Dans un environnement rural, le café, les discussions, c’est ce qu’on avait comme distraction raconte t-elle. Très vite se noue donc entre Odile et Alexandre, une affinité d’abord intellectuelle et ensuite sentimentale qui va structurer une relation d’une quarantaine d’années.

Avec son nouvel époux, elle va découvrir l’oppression et la terreur que la France impose au Cameroun et dans certains pays africains. Et elle en est indignée. Dans ma culture, dans mon éducation, j’étais plutôt patriotique, française. Je n’avais jamais imaginé que la France pouvait être oppressive quelque part. C’était une révélation choquante raconte t-elle. Ecrivain et prof de lettres, elle n’a aucun mal à affermir sa relation avec Mongo Beti. Professeur agrégé de Lettres classiques en 1970, elle obtient en 1976 un doctorat de littérature française. Elle sera chargée de cours en littérature française du XVIIe siècle, à l’université de Rouen, de 1978 à 1984. Elle fera aussi ses classes dans l’écriture. En témoigne son livre Du racisme français, quatre siècles de négrophobie. Un ouvrage qui démasque l’idéologie et la pratique française de l’esclavagisme et du racisme. A plusieurs égards donc, Odile Tobner semble avoir été faite pour cheminer avec son mari. Mais, elle semble surtout avoir hérité de lui, un iconoclasme et un tempérament de contestation plutôt remarquables.

Odile Tobner
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Un caillou dans la chaussure
Odile Tobner est une épine. A la fois pour son pays, la France. Pour le Cameroun, le pays d’origine de son mari et pour sa belle famille.
Pour la famille de son défunt époux, cette femme un peu trop indépendante, qui ne sait que dire 2 ou 3 mots du dialecte de son mari n’est pas vraiment commode. Comme se doivent de l’être les femmes en pays Beti. Non seulement, elle ne vit pas au Cameroun, elle ne parle pas la langue maternelle de son mari, elle n’entretient pas la tombe de son mari, mais en plus elle s’est opposée au gouvernement du Cameroun qui voulait rendre hommage à son mari tempête t-on dans sa belle-famille. Elle, a toutes les explications à ces griefs. J’ai un enfant qui doit recevoir ce qu’il ne pourrait pas recevoir ici répond t-elle pour ce qui est de son séjour au Cameroun.

En ce qui concerne, la langue maternelle de son défunt époux, elle explique simplement que son mari n’en a jamais fait une priorité. En outre, le fait qu’elle ait rencontrée sa belle famille, seulement en 1993, après 30 ans de mariage n’a pas arrangé les choses. Pour ce qui est de la tombe de son mari, elle déclare : J’ai fait venir le granit de Bretagne pour sa tombe. Elle ne regrette pas d’avoir tenté de s’opposer aux honneurs posthumes délivrés par le gouvernement à l’endroit de son mari. C’est le minimum que je pouvais faire parce que là, j’étais sûr à 100% que je faisais ce qu’il aurait voulu explique t-elle. Elle ne s’embarrasse d’ailleurs pas de critiques à l’endroit de sa belle-famille qui a accepté les honneurs décernés par le gouvernement à son remuant époux.


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Odile Tobner n’est pas seulement un « problème » pour sa belle-famille. Elle l’est aussi pour le gouvernement de son pays. Elue le 17 septembre 2005 présidente de Survie France, succédant à François-Xavier Verschave décédé en juin 2005, Odile Tobner dénonce les politiques de la France à l’égard des pays africains. L’Afrique a été pillée, vidée de ses hommes, de sa richesse, martyrisée souligne t-elle. Elle a d’ailleurs participé à la saisie symbolique d’un hôtel de l’ancien président gabonais Omar Bongo Ondimba en France. Elle a aussi contribué à la rédaction d’un rapport sur la corruption dans la forêt camerounaise. Et, même le président français Nicolas Sarkozy n’échappe à sa critique. Après le discours prononcé par ce dernier à Dakar pour constater que l’Afrique n’est pas assez entrée dans l’histoire, elle a participé à l’écriture du livre : « L’Afrique répond à Sarkozy ». J’ai honte en tant que française que ce discours ait été tenu martèle t-elle.

Incontrôlable, têtue, iconoclaste, révoltée, les qualificatifs ne semblent pas assez forts pour qualifier cette femme qui incarne désormais de manière symbolique mais aussi physique et idéologique, la figure contestatrice de son défunt époux, Mongo Beti dont l’ uvre et la pensée militantes continuent de rayonner à travers le monde. Il doit être fier de son épouse Odile.

Odile Tobner
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