Après 53 années à fréquenter les planches, il aurait pu couler un repos paisible… Mais ce n’est pas le cas!
Vous avez mis sur pied un festival du conte dont la première édition s’est tenue en décembre dernier à Meiganga. Vous tenez à ressusciter le conte?
Oui, vous savez quand j’ai commencé le théâtre c’était parallèlement avec le conte et justement j’étais à Meiganga, j’ai commencé le théâtre avec le rôle du médecin dans L’impromptu du médecin de Léon Chancerel, dans une mise en scène d’un instituteur qui s’appelait Joseph Kingué et que je n’oublierai jamais. C’est grâce à lui que réellement je me suis intéressé au théâtre. Depuis que je suis monté sur scène en 1957, avoir gagner mes premiers sous, 250 francs remis par le médecin du dispensaire de Meiganga qui était très content que j’avais bien joué mon rôle parce que mon regretté père était affecté comme infirmier breveté dans ce dispensaire. Il était même de garde ce soir et quand il a appris que je jouais, lui-même est venu. Alors depuis ce jour, je ne suis plus jamais parti de la scène. En même temps, j’ai découvert le personnage mythique de Wanto. Le personnage mythique Baya qui fait beaucoup d’aventures dans les contes Baya. Le premier conte que j’ai joué, en 1968 je crois que c’était une aventure de ce personnage mythique de Wanto. Ce qui m’a amené à réaliser des contes dans une émission de la radio nationale à l’époque. Et à partir de là, en 1970 j’ai fait un voyage pour le Sénégal où j’ai présenté des contes camerounais à la ligue internationale de l’enseignement qui tenait une assise éducationnelle là-bas. Toute suite après j’ai été invité au festival mondial de théâtre de Nancy où j’ai présenté un conte de Mvet, le conte d’Angon Mana, en français. Et c’est là vraiment où c’est parti. Puis en 1992 j’ai présenté des contes à Montréal au Canada lors du 15ème salon du livre. Je pense donc que ceci est vraiment intéressant pour moi de faire aussi quelque chose pour le Cameroun. C’est pour cela que j’ai choisi Meiganga d’abord qui m’a vu naître au théâtre. Je devais le remercier pour avoir fait de moi ce que je suis parce que je pouvais toujours commencer le théâtre et virer à la politique, mais jusque là malgré ma classe sociale, je suis resté ferme sur la scène.
Le festival sera-t-il annuel?
Maintenant nous préparons la deuxième édition qui aura une nouveauté avec l’invitation d’un conteur gabonais que j’ai déjà rencontré parce que j’ai fait un voyage au Gabon. Il s’appelle Nguéméné, un grand conteur international. Cette fois, j’ai envie de donner du poids aux jeunes conteurs Baya, de l’Adamaoua en général, qui ne sont pas connus du tout. Mais ça c’est mon devoir, moi je n’étais pas connu et Meiganga m’a fait connaître. Toutes les éditions du festival se dérouleront à Meiganga. Disons qu’après la deuxième édition je voudrai faire une petite pause pour la recherche des financements. Avoir une bonne idée c’est bien. Mais s’organiser toujours dans des conditions difficiles c’est un peu compliqué. Vous savez à la première édition, ce sont certaines élites qui m’ont soutenu (l’hébergement, le transport). Cette année je me suis dit que je cherche les financements ailleurs. Et le ministère du tourisme s’est porté partenaire parce que le festival permet également de découvrir la ville de Meiganga ainsi que son patrimoine. Mais je ne dis pas que c’est le ministère qui va financer tout le festival.
Décelez-vous en la jeune génération des talents pour assurer la relève des conteurs dont vous faites partie?
J’ai formé beaucoup de jeunes tant à l’intérieur du Cameroun qu’à l’extérieur. Au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Togo, en République Centrafricaine. La relève pour moi est très importante parce que j’estime que nous devons la faire. Et j’ai été content dernièrement car un jeune que j’avais formé en 1995 au Gabon, Omar Defounso, est devenu un très grand humoriste au Gabon, et a créé une structure de production culturelle là-bas ainsi qu’un festival d’humour. Nous pouvons compter sur tous les jeunes humoristes. Le problème maintenant c’est l’organisation générale de la politique culturelle au Cameroun parce qu’il y a le public et il y a le privé. Nous avons déjà le théâtre national du Cameroun, ce qui veut dire que les jeunes qui y sont, ont reçu une formation qui leur permet déjà de pouvoir aussi encadrer d’autres jeunes. Maintenant, le théâtre national se trouve uniquement au niveau de Yaoundé, sans donner de leçon à personne, ce qui n’existe pas encore actuellement c’est la décentralisation dramatique au niveau des régions. Il faut maintenant voir que le privé également doit faire un effort pour accompagner ces jeunes. Parce que le tout n’est pas seulement de les former, mais ils vont jouer où? C’est pour cela qu’il faut que le théâtre privé se développe. Il faudrait par exemple que chaque commune puisse avoir un théâtre. Une troupe qui peut résorber ces jeunes qui se battent tous seuls et qui sont obligés de tout faire pour travailler. Il faudrait également que chaque entreprise puisse avoir un théâtre, organiser même des festivals de théâtre d’entreprise. Je crois que ça va beaucoup aider. Nous avons également des cafés théâtres qui peuvent naître dans des cabarets. Un espace où les jeunes peuvent aller chaque soir jouer. Au Cameroun, nous avons surtout des théâtres amateurs, des théâtres scolaires qui se démènent comme ils peuvent. Nous avons le théâtre pour enfant qui marche bien avec Etoundi Zeyang qui est un professionnel en la matière. C’est en gros le tiers théâtre que nous avons, qui est fait pour des gens qui n’ont aucune formation. Celui que les chaînes de télévisions exploitent parce que avec lui ils n’ont pas beaucoup à dépenser. Les jeunes veulent être lancés donc il n’est pas question de faire venir les grands comédiens. Et vous-même vous voyez ce qui nous est proposé.
«Veillée de contes traditionnels» est votre deuxième réalisation après «Dieu devant la barre» sortie en 2005. Est-ce désormais dans la réalisation cinématographique que vous déposez vos bagages?
La réalisation cinématographique c’est un point de vue qui est le mien que je voudrai poser. D’ailleurs je suis déjà en train de préparer un nouveau court métrage. Le Carrefour du crime phonique, c’est-à-dire tout ce qui concerne l’abatage des animaux pour des intérêts égoïstes. Ces abatages qui entraînent l’insécurité et même la pauvreté parce que finalement quand la loi intervient, vous le braconnier perdez tout, vous n’avez pas appris un autre métier et vous allez crier partout que ce sont les autres qui font en sorte que vous soyez pauvre. Je souhaite également avec ce film faire une éducation environnementale au public pour qu’il apprenne à protéger les animaux et je vous dis que je suis sur le scénario depuis deux ans, parce que je ne voudrais pas que ce film ressemble à tout ce que j’ai déjà fait jusqu’ici. Il faut se développer et atteindre au moins les débuts de ce que les grands ont fait pour montrer que le cinéma camerounais peut aussi suivre une voie acceptable, appréciable par tous. Le tournage va commencer d’ici l’année prochaine. C’est un film que je fais avec comme partenaire le ministère des forêts et de la faune.
D’où tirez-vous le nom «Oncle Otsama mot bikié» avec lequel vous vous identifiez sur scène?
Déjà il faut dire que mon nom de tradition au village c’est Otsama. Il y a un de mes oncles qui s’appelait Otsama Daniel et qui était l’ami de mon regretté père. Dans le cadre de leur amitié, mon père a voulu garder le lien de cette amitié en donnant le nom de son ami à un de ses enfants. Il m’a donc donné le nom d’Otsama. Malheureusement il y avait des chefs de subdivision français à l’époque qui selon eux, il fallait porter le nom du père alors mon père s’appelant Ndo, ils ont mis Ndo. J’ai juste gardé le prénom de mon homonyme. Moi j’avais donc le devoir de réchauffer cette amitié. Au village on m’appelle Otsama. Je me suis dit, je vais porter ce nom dans le cadre d’un personnage que je vais créer et c’est comme ça que j’ai créé l’oncle Otsama lorsque j’étais en stage de dramatique télévisuelle en Italie à Canal 21. Malheureusement quand j’arrive au Cameroun en fin 77, il n’y a pas de télévision, je créé donc ce personnage pour la radio. Le feu Henri Bandolo qui était chef de service des programmes me réserve une plage radiophonique où les aventures de l’oncle Otsama passaient et le public a participé en envoyant aussi des scènes cocasses. Le premier spectacle a eu lieu le 1er décembre 1978 au cinéma théâtre Abbia. C’est le premier spectacle de théâtre où nous avons fait payer 1000 Fcfa parce qu’il n’y avait que les musiciens qui pouvaient jouer à l’Abbia et faire payer 1000 Fcfa. Mon oncle était mécanicien et en Ewondo Mod bikié c’est l’homme de fer. On l’avait surnommé ainsi et c’est justement ce qui m’a plu, je trouvais ça artistique.

Dans la plupart de vos sketches vous évoquiez le sous-préfet, quelle symbolique a-t-il pour vous?
Le sous-préfet a une très grande symbolique, dans l’administration tout part du sous-préfet. C’est lui qui peut réellement dire la vérité au président de la République sur ce qui passe dans le pays. Les gens ont un peu peur du préfet, ce n’est pas facile de l’aborder, encore moins le gouverneur. Par contre le sous-préfet est là avec eux, il vit avec eux et il arrive maintenant que les gens n’aient même plus peur de lui parce qu’il est devenu leur ami, il va en tournée dans leurs villages. De surcroît mon oncle maternel a été sous-préfet, j’étais au cours moyen deuxième année et j’ai vu des choses. Je crois que c’est à partir de là que j’ai pris la décision de prendre le sous-préfet comme symbole dans mes sketches. A l’époque en 1960, 1962 ils étaient de véritables rois. Quand mon oncle arrivait dans un village il était aux petits soins, il avait tout ce qu’il voulait. Des paniers de poulets, des chèvres, etc. Tout gosse que j’étais, ce sont des choses qui m’ont un peu froissé. Vous savez un jour, la route de Mfou n’était pas encore goudronnée, mon oncle est dans une Rand lover à l’époque, et puis il y a un car qui vient doubler et qui l’entoure de poussière. Il donne l’ordre au chauffeur d’aller doubler le car, il double et bloque le passage au car et il prend les pièces au chauffeur: Vous n’avez pas droit de mettre la poussière sur le sous-préfet!. Il pouvait décider de casser telle maison parce que lui seul sait pourquoi il casse, et il n’y a pas question de s’opposer. Si non c’est fini. Là c’est les sous préfets qui avaient une dominance sur les populations. Maintenant ce que je remarque c’est une population qui maltraite plutôt le sous-préfet.
Vous êtes depuis quelques temps très proche du ministère de la culture à la centrale de lecture publique, quelles sont vos fonctions là-bas?
Disons qu’à une certaine période donnée Madame la ministre de la culture m’a confié certaines tâches tout comme elle en confie à d’autres, en tant qu’expert, en tant conseiller de jeunesse et d’animation. Elle m’a confié un certain nombre de dossiers, de projets à gérer. Il y avait le Fenac où elle m’a copté comme membre du comité d’organisation. Je me devais d’exécuter la mission qu’elle m’avait confiée. Elle m’a également confié la mission de créer des ateliers de vacances culturelles. Ce que j’ai fait. Ces ateliers ont connu une certaine participation, c’est pour cela que j’ai été proche à un moment donné du ministère de la culture. D’autre part il y avait les résultats du film à donner ainsi que les justificatifs. Tant qu’il y a la relation de travail nous serons obligés d’être en relation. Si jamais il n’y a plus de relation de travail immédiat je ne vois pas pourquoi je vais continuer à être si proche, puisque de toutes les façons je suis en partenariat avec d’autres ministères pour d’autres projets. Il y a des organismes avec lesquels je travaille.
Le cinéma camerounais souffre de plusieurs maux et les professionnels soutiennent que le gouvernement ne pose pas les actions déterminantes. Quel est votre avis?
Mon avis c’est qu’il faut laisser le gouvernement tranquille. Les cinéastes n’ont qu’à s’en vouloir à eux-mêmes. Le gouvernement a mis sur pied une banque pour les cinéastes, le Fodic, mais ils ont fait quoi de cet argent. Moi je ne faisais pas de cinéma à l’époque mais je connais des gens qui ont pris des centaines de millions. Ces films sont où? Est-ce qu’ils ont remboursé? Parce que quand vous prenez de l’argent, vous empruntez, c’est bien pour rembourser et combler le vide que votre prêt a occasionné. Et si les films sortent, vous attendez que ce soit encore le gouvernement qui vous aide à distribuer le film. Non, il ne faut pas abuser! Il arrive à un moment donné que quelqu’un se fatigue. Je veux bien qu’on raconte tout ce qu’on veut, mais si à partir du Fodic cela avait bien marché, eh bien cette banque existerait aujourd’hui et je crois que tout tournerait maintenant autour de l’amélioration des conditions d’existence de cette banque. Maintenant le Fodic est mort, on accuse que untel a volé de l’argent depuis qu’il n’y a pas de salle, les cinéastes se sont-ils réunis? Ce sont les privés qui avaient les salles. Si des cinéastes se réunissent et disent que nous on va essayer d’avoir une salle à nous. Ils disent au gouvernement aidez-nous à faire la salle, ils peuvent voir les privés, les industriels, c’est ça l’organisation.
Comment appréciez-vous la manière dont sont gérés les droits des artistes aux Cameroun?
Tout ce que je peux dire c’est que quand une entreprise se met sur pied, ne demandez pas qu’il y ait des résultats probants tout de suite. Nous sommes à la phase d’implantation, ce n’est pas aussi facile. Les détournements sont à voir et pour être Pca il faut être gestionnaire. Il ne suffit pas d’être artiste pour penser qu’on peut diriger une société de droit d’auteur. Chacun doit être à sa place. Comme Pca, cherchez quelqu’un qui connaît ce que c’est que la gestion, il saura où il va. Egalement, vous ne pouvez pas dire que c’est le Dg qui gère alors que c’est le Pca qui est élu. Si le Dg gère mal, les artistes demandent des comptes au Pca. Il faut revoir les textes et il faut également éviter de se mettre au dessus de la tutelle.
