Armand Nguimeya, avocat au barreau du Cameroun et arbitre international des litiges

Rencontre avec un passionné de son métier toujours entre deux avions pour régler des litiges juridiques dans le monde

Racontez-nous votre parcours?
J’ai commencé mes études à l’école primaire Saint Gérard de Déido à Douala. Lorsque je termine mes études primaires, alors j’étais parmi les meilleurs de ma classe, je n’ai pas mon Certificat d’études primaires. J’étais très déçu et j’ai même failli arrêter mes études. Ma mère m’a encouragé et m’a inscrit au collège confessionnel St Laurent de Bafou (département de la Ménoua) où j’ai suivi un parcours normal en 7 ans, de la sixième en terminale. Ce collège comportait un petit séminaire. Après mon baccalauréat, je me prépare à entrer au grand séminaire. Mes parents ne sont pas d’accord avec cette décision et donc, en attendant la décision de l’évêque, je décide de poursuivre mes études et je m’inscris à l’université. Finalement, je vais rester à l’université pour faire des études de droit. J’ai donc obtenu ma licence et j’ai postulé à la profession d’avocat en 1993. Et depuis 1996, j’exerce comme avocat au barreau du Cameroun et je suis aujourd’hui associé et administrateur du cabinet où je travaille. Dans le cadre de la défense des droits de l’homme, j’ai commencé à collaborer avec des organismes ; notamment Avocats sans frontières et la cour pénale internationale. Je suis aussi arbitre internationale et j’interviens donc dans les litiges qui se règlent à l’amiable. Ce dernier élément de mon profil me donne la possibilité de voyager très régulièrement dans de nombreux pays du monde où je suis sollicité.

C’est quoi la différence entre une cour arbitrale et une cour pénale ou toute autre cour normale?
Dans l’administration de la justice, l’instance habilitée à rendre justice est le judiciaire : ça peut être un tribunal pénal, commercial, civil et autre. L’arbitrage est un mode de justice qui est géré entre les parties pour les règlements de conflits à l’amiable. On distingue deux formes ; la première est le contrat qui lie les parties et qui prévoit expressément le recours au règlement à l’amiable sous la forme d’une clause compromissoire. Et là, on aura recours à un arbitre. Mais il peut arriver qu’il n’y ait pas de clause compromissoire et que les parties ne veulent pas aller chez un juge. Elles signeront un compromis d’arbitrage, lequel compromis nécessitera aussi qu’on fasse recours à un arbitre pour que l’affaire puisse être réglée à l’amiable. Les arbitres sont choisis sur la base de leurs compétences et de leur moralité. Si les parties sont d’accord, la décision s’applique normalement. Mais si les parties ne s’accordent pas ou si une des parties ne respecte pas les clauses de la décision d’arbitrage, la partie intéressée rencontre un juge pour obtenir l’exéquatur de la sentence. L’exéquatur dans ce sens est une façon de donner force obligatoire à une entente que deux parties ont eu dans le cadre d’un différend les opposant.

Donc vous êtes avocat et arbitre international ?
Tout à fait sauf que pour les avocats c’est un peu plus délicat. Il faut se conformer à certaines règles juridiques. Je précise qu’être arbitre n’exige pas d’être juriste. Une compétence reconnue dans les domaines concernés est la seule condition requise

Que vous apportent vos expériences internationales dans la pratique quotidienne de votre profession au Cameroun ?
Travailler à l’international c’est l’ouverture sur la compétence, la coopération et surtout les pratiques internationales, une expérience qu’on aurait difficilement en restant dans son pays. J’ai remarqué que pour ce qui est de la France par exemple, les prestations et les interventions des confrères sont rémunérées quelque soit la situation et à temps. Au Cameroun, il n’y a aucune loi qui encadre le règlement des honoraires (frais d’avocats) et c’est un peu le cas par cas qui fait objet de loi et même là, les honoraires ne sont pas toujours réglés à temps. Ajouté à ça des pratiques d’escroquerie, c’est difficile. Sur un autre plan, les avocats camerounais ne s’intéressent pas aux nouvelles technologies. Et enfin, la plupart des avocats sont concentrés dans les grandes villes comme Yaoundé ou Douala. Et pourtant, on a besoins des avocats dans toutes les villes du Cameroun.

Pour revenir aux honoraire est ce qu’il ne revient pas au bâtonnier de réguler tout ça?
Pour répondre à cette question, je précise que je parle en tant qu’avocat parce que pour parler au nom de l’ordre il faudrait être mandaté par celui-ci. En ce qui concerne les honoraires chez nous, il y a beaucoup de désordre dans l’ordre. Et le système s’est empiré sous les anciens bâtonnats; la profession est émaillée d’un ensemble de pratiques qui sont plus ou moins obscures ; cela déteint sur le règlement des prestations et chacun fait un peu n’importe quoi.

Me Armand Nguimeya
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On en vient donc à des situations comme celle de Me Abessolo, poursuivi pour honoraires trop perçus au port autonome de Douala
Dans cette affaire, il y’a un peu de politique et donc c’est très complexe. J’ai entendu un juge dire, parlant de ce dossier, qu’il était inadmissible que l’avocat puisse toucher 100 millions d’honoraires. C’est dommage car un avocat peut toucher sur une consultation 200 millions de Fcfa d’honoraires ce n’est pas interdit. Il n’y a pas de loi qui limite les honoraires à un certain taux sur un dossier. Mais cette affaire est un cas délicat car elle a été élargie à une complicité de détournement de fond selon les termes utilisés. Je suis mal placé pour en dire plus mais le principe est clair, on ne peut pas poursuivre un avocat au motif d’un trop perçu des honoraires.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui aspirent à la profession d’avocat ?
Je dirai juste que la profession d’avocat est une profession prestigieuse, elle est selon moi réservée à l’intelligentsia. Quand vous êtes avocats, vous avez une multitude de portes ouvertes: Les présidents français et américains sont des confrères. Il y a de la place pour tout le monde, pour ceux qui travaillent. D’ailleurs je vais reprendre une citation du confrère Vergès [i lorsqu’on est avocat, on est heureux toute la vie. Parce que si on veut être heureux un jour on se saoule, si on veut l’être deux jours on se marie et si on veut être heureux toute la vie, on devient avocat.

Vous avez voulu faire le Séminaire après le baccalauréat, un grand regret?
Non pas vraiment. C’est vrai, c’était des ambitions d’enfance mais j’ai l’impression avec le recul qu’il y avait un peu de suivisme, la volonté de servir l’église car tout autour de moi il y avait des prêtres, je dirigeais un chorale, un groupe de scout, j’encadrai des catéchistes, bref un ensemble de facteurs favorables qui me poussaient à servir l’église et je pense même que le sens de gérer et mener les hommes, je l’ai depuis l’enfance par ces expériences. Mais aujourd’hui j’ai une nouvelle vision des choses : j’ai vu des gens virés du séminaire après sept ans de formation et là je me suis dit tiens ! Non pas que cela me serait arrivé. Aujourd’hui je reste au service de Dieu dans mon domaine : j’ai fait des lectures sur le droit canon, je suis toujours au service de l’église, et je ne regrette pas j’ai trouvé mon âme s ur qui depuis 19 ans est à mes côtés, elle partage tout avec moi.

Me Armand Nguimeya
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