Interview de Olivier Mbabia, politologue camerounais installé au Canada et auteur d’un ouvrage sur les relations sino-africaines
M. Olivier Mbabia, après de nombreux articles, vous venez de publier un livre sur les relations sino-africaines. Qu’est-ce qui vous a orienté vers ce sujet à la base?
L’idée de réaliser un examen des relations Chine/Afrique est née au cours de mon cursus universitaire. En travaillant sur la privatisation des conflits, j’ai été interpellé par la quantité d’armes de fabrication chinoise dans des régions conflictuelles ou non, ainsi que par l’évolution de la coopération militaire et l’engagement chinois dans le maintien de la paix en Afrique. Par ailleurs, en 2005, j’ai remarqué, lors d’un séjour dans plusieurs grandes villes camerounaises, une présence croissante d’entrepreneurs et de petits commerçants originaires de Chine.
Comment avez-vous procédé, au niveau de la méthode, pour recueillir les données pour votre livre? Notamment en Chine et en Afrique?
Afin d’éviter de tirer des conclusions hâtives à partir de sources exclusivement secondaires, il a en effet été nécessaire de mener des enquêtes de terrain tant dans la partie subsaharienne de l’Afrique (Cameroun, Guinée, Éthiopie et Tanzanie) que du côté chinois (Beijing, Shanghai, Guangzhou et Hong Kong). Concrètement, je me suis entretenu avec diverses catégories de populations, des petits commerçants à des universitaires en passant par des officiels et des étudiants.
A quand date la première rencontre entre la Chine et l’Afrique?
Des contacts auraient eu lieu dès le IIe siècle avec l’Egypte notamment. Autour de la moitié du XIVe siècle, le grand voyageur berbère Ibn Battuta visite la Chine. Mais symboliquement, la date la plus citée est celle du XVe siècle. De fait, dans le cadre de grandes expéditions de la dynastie des Ming, l’amiral Zheng He retourne en Chine en 1415 avec entre autres une girafe après avoir séjourné sur la côte orientale de l’Afrique. C’est plus de 70 ans avant que le Portugais Bartolomeu Dias ne double le cap de Bonne Espérance.
La coopération entre la Chine et les pays africains est – elle générale ou existe-t-il des grandes disparités selon les pays, ou mieux les communautés économiques?
Il n’y a pas de coopération monolithique entre la Chine d’une part et l’Afrique de l’autre. C’est l’idée que le discours officiel chinois voudrait promouvoir au mépris des réalités de terrain. Il faut préciser que notre continent est constitué de 54 pays qui, en plus des spécificités géographiques, sont à des stades de développement très différents. Pour cette raison, la présence chinoise sera plus importante dans les mines en Zambie et au Gabon, les hydrocarbures en Angola et au Soudan (Nord et Sud), dans les infrastructures en Ethiopie ou encore dans l’industrie manufacturière au Nigéria. C’est-à-dire en fonction des besoins et de la spécialisation de chaque pays.
On parle beaucoup de l’offensive économique de la Chine en Afrique. Mais il existe aussi ce que les anglo-saxons appellent « soft power ». Comment se traduit ce dernier aspect sur le continent?
A Pékin, on est conscient que l’émergence internationale de la Chine passe inévitablement par une « manière douce » d’exercer le pouvoir. Sur le terrain, l’équipe dirigeante chinoise ambitionne d’asseoir son positionnement continental en soignant sa réputation et son image. La Chine mobilise donc ses ressources de « soft power » en promouvant sa culture par l’intermédiaire des Instituts Confucius, des échanges artistiques, en renforçant son ancrage médiatique et en accordant davantage de bourses d’études aux étudiants, professionnels et militaires africains. On peut même évoquer le renforcement de sa participation aux opérations de maintien de la paix en Afrique. Précisons tout de même que ces initiatives se rapprochent davantage de la diplomatie publique et que le soft power chinois en Afrique demeure, à ce jour à tout le moins, embryonnaire.

Dans un pays comme le Cameroun, depuis le début de l’année 2012, de nombreux projets d’infrastructures sont lancés avec le concours de la Chine. Au regard de votre analyse globale sur les rapports chine Afrique, que doit-on espérer d’une telle coopération en terme d’opportunité, mais aussi de menace?
Du point de vue de la géopolitique, la position charnière du Cameroun entre l’Afrique de l’Ouest, centrale et sahélienne est un atout pour la Chine. Vingt ans après l’inauguration du Palais des Congrès de Yaoundé (mai 1982), première réalisation majeure chinoise au Cameroun, la multiplication des grands chantiers en cours et à venir comme le port de Kribi, les barrages hydroélectriques (Memve’ele et Lom Pangar), l’autoroute Yaoundé/Douala attestent de cet intérêt réciproque. La coopération avec la Chine favorise des retombées indiscutables pour le Cameroun, mais engendre des défis tout aussi importants. Ces menaces sont souvent liées à la nature de l’Etat et au déficit de gouvernance. C’est ainsi qu’une irruption incontrôlée de produits chinois déstructurent le secteur informel camerounais et que l’exploitation de plusieurs milliers d’hectares de terres agricoles par une entreprise chinoise dans le département de la Haute Sanaga se fait en court-circuitant la population locale. Aussi, il n’est pas exclu que la proximité entre le Parti communiste chinois (PCC) et le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) ait des répercussions négatives sur la gestion des affaires publiques. Comme ailleurs sur le continent, ces faiblesses suscitent un questionnement sur les capacités des Etats africains à réglementer la coopération chinoise et à gérer les restructurations et concurrences qu’elle génère.
L’analyse que vous faites laisse entendre que les pays africains se laissent emballer, mais qu’il s’agit d’une nouvelle forme de colonisation, est-ce qu’il existe des possibilités de négocier différemment avec les chinois?
Il n’y a guère de colonisation mais sont à l’ uvre des mécanismes d’interdépendance. Les déséquilibres engendrés par la nature de la coopération entre la Chine et les pays africains peuvent mieux être appréhendés comme une asymétrie. Si cette asymétrie est largement en faveur de la Chine, elle n’est pas absolue car les Etats africains peuvent par exemple négocier en bloc en vue d’accroître leurs marges de man uvres par rapport au géant chinois. D’ailleurs, le retour de l’Afrique dans le jeu international offre des alternatives sérieuses à la Chine. L’offensive d’autres puissances émergents très dynamiques et la persistance des partenaires dits traditionnels sont de fait des atouts à la disposition des pays africains qui voudraient circonscrire une prééminence chinoise sur le continent.
Votre avis sur le Focac, forum sur la coopération Chine-Afrique
Douze ans après son établissement, ce mécanisme de concertation présente des avantages intéressants pour les parties. Il joue un rôle de catalyseur du dialogue entre la Chine et les pays africains, facilitant ainsi le développement et la diversification des relations internationales des pays membres. On peut cependant déplorer la forte tendance au bilatéralisme au sein d’une institution qui est présentée, en l’occurrence par les dirigeants chinois, comme une instance multilatérale. Il convient aussi de déplorer la timidité voire le déficit d’initiative des Africains qui, jusqu’à présent, ne se sont pas dotés d’un comité de suivi des engagements adoptés dans le cadre du Forum. Quoi qu’il en soit, le FOCAC peut être perçu comme une instance de socialisation dans le sens de construction d’identités et d’intérêts partagés mais aussi de promotion de normes dont les fondements conceptuels divergent avec la tradition occidentale.
Avez-vous des dates de dédicaces prévues?
L’ouvrage paraît chez Ellipses en France et le fait que je me trouve actuellement outre-Atlantique rend difficile des séances de dédicace. Cependant, des rencontres autour du livre seront organisées au courant de l’automne.
Pour terminer, avez – vous déjà été sollicité par le Cameroun, à propos de votre expertise intellectuelle sur les relations sino-africaines?
Quand ce sera le cas, c’est avec intérêt et engouement que je mettrai mon expérience en tant que spécialiste des dynamiques sino-africaines au service de notre pays.
