«Il y a un problème d’apprentissage de la musique au Cameroun» (Owona Ntsama)

Le chercheur et chroniqueur de musique analyse l’évolution de la musique au Cameroun et donne des pistes de solution pour relever le niveau.

 

Journalducameroun.com: La musique camerounaise, se porte-t-elle bien?

Non certainement pas. On s’accorde tous aujourd’hui à constater qu’elle est peut-être plus vivace que les années antérieures avec l’avènement de la technologie, du digital, mais paradoxalement, elle est moins compétitive, elle est moins humaine, moins proche du cœur.

La nature des textes, la qualité de l’orchestration, le niveau même des mélodies poussent à se poser la question sur la qualité de la musique camerounaise.

Le niveau global, et je l’ai toujours dit, n’est pas bon. Il y a toutefois ceux qui sortent du lot mais qui sont malheureusement noyés dans le grand flot de ce qui n’est pas bien fait. Je ne désespère pas que la musique camerounaise reprend du poil de la bête. Déjà dans les années 71, 72, vous aviez les premiers 45 tours de Jean Dikoto Mandeng et Ekambi Brillant. Tout ce qui a suivi, Dina Bell, Prince Eyango, pratiquement jusqu’au début des années 90 était compétitif. Et c’est l’époque où on produisait des disques.

Encore aujourd’hui, lors des fêtes et autres festivités, les chansons qui tiennent le plus les gens en haleine sont les chansons de cette époque, paradoxalement. Vous avez Ndedi Eyango des périodes de «Service libre» (album de l’artiste sorti en fin 1985 Ndlr) qui est quelqu’un d’extrêmement dansé dans les soirées pourtant ce genre n’est plus au goût du jour. Il y en a d’autre. Donc qu’il y a matière à réflexion.

 

Quelles sont le causes de cette perte de vitesse?

Il y a un problème d’inspiration. Un problème qui est également lié à l’apprentissage de la musique. La musique est une discipline qu’on apprend. Et lorsqu’on l’apprend, on n’a pas de problème d’inspiration parce qu’on est capable de l’écrire, la lire. Ceux qui composent la musique en l’écrivant n’ont jamais de problèmes d’inspiration.

Je crois tout de même que la modernité a des effets pervers parce que certains promoteurs nantis, appelés des majors sont parfois prêts à promouvoir certains artistes pour des raisons qui ne sont pas toujours artistiquement, éthiquement recevables, pour ne pas en dire plus. Ceux-là se lancent et il en sort un produit plus ou moins potable. La modernité aide ce type de personnes. Mais les gens ne sont pas dupes. Ces personnes qui passent par la petite porte essuient des critiques pas toujours élogieuses de la part de ceux qui sont un tant soit peu attentifs.

Je pense que lorsqu’on a appris la musique, on l’a étudiée, on n’a pas de problèmes d’inspiration et la modernité on en a pas peur parce qu’on sait ce qu’on peut en tirer.

 

Qu’en est-il des influences de la modernité et l’ouverture au monde?

La modernité ne peut pas être en soi quelque chose de contre-productif. La question elle est ailleurs. En Europe par exemple, le disque est en train de revenir.

La modernité peut toutefois être opposée aux instruments de musique traditionnels appelés désormais instruments patrimoniaux. Ils doivent être vulgarisés sinon ils meurent. Certains de par leur notoriété font la promotion de ceux-ci. Vous avez quelqu’un comme Sally Nyolo qui bénéficie d’un certain nombre d’avantages du fait de la visibilité qui est la sienne, et lorsqu’elle présente le Mvêt, il est reconnu à travers le monde.

De l’autre côté, vous avez quelqu’un aussi comme Jack Ndeyim aussi avec sa sansa. Lorsqu’il est en tournée avec cet instrument local, cela participe à sa vulgarisation. Aujourd’hui par exemple, le Djembé, on le retrouve partout. Même les Européens en jouent excellemment parce que ça s’apprend. On a aussi la kora du Sénéglais Toumani Diabaté. Kareyce Fotso fait également beaucoup la promotion des instruments de musique.

L’autre volet de la modernité se situe au niveau de l’identité propre. Parce que lorsqu’on s’ouvre, forcément, on y laisse quelque chose qui participe de notre intimité propre. On va dans la modernité, on ne sait jamais exactement ce qu’on va trouver mais on sait ce qu’on va y perdre. Il faut être prudent malgré les différentes fusions auxquelles on assiste. Les éléments structurants de notre identité doivent demeurer lorsqu’on va à la rencontre de la modernité. C’est cela le grand enjeu. Quelqu’un comme Jack James l’a compris. Une fois je l’ai vu en spectacle. Il avait pris soin de rester traditionnel toute la première partie du spectacle: tenues, instruments… La deuxième partie qui était dite moderne, il a changé de tenue, de décor et il a continué à jouer pour montrer comment ça bascule justement tout en restant soi-même.

 

L’ordinateur ayant déjà des programmations toutes faites, est-il une menace pour des instruments de musique?

Il y a une influence mais il fut comprendre que la guitare est restée la guitare et le saxophone le saxophone. Si vous n’avez par la puissance du souffle et l’inspiration d’un feu Charlie Parker (Jazz saxophoniste de légende Ndlr) ou d’un Manu Dibango, ce n’est pas la machine qui va le remplacer. Les instruments, ils vivent l’évolution qui est la leur. Par exemple, Zanzibar est décédé, je mets quiconque au défi de trouver quelqu’un qui va comme lui sur un synthétiseur reproduire le son de la guitare. On peut démultiplier des exemples à l’infini. Le problème des instruments traditionnels est celui de la transmission. Je pense que ceux qui possédaient la science dans ce domaine, n’ont pas souvent transmis ou ne l’ont pas suffisamment fait.

 

Quel regard portez-vous sur la musique dite urbaine?

A mon sens, cette musique profite d’un moment de vacuité où on a l’inspiration qui a tari. Pour moi, c’est de cette manière qu’elle profite et s’installe dans le corridor. C’est une certaine excroissance du rap, de hip-hop, du slam, de poésie déclamée. C’est quelque chose d’extrêmement compliquée. Mais ce que je peux en dire à l’écoute des Boudor, Lydol, Sultan Oshimin, c’est que les thématiques abordées nous connectent à la réalité sociétale. Dans des universités d’ailleurs, des études sont faites sur ce type de musique à travers les textes qui dénoncent et de la manière la plus virulente qui soit, les tares d’une certaine société.

Maintenant, on n’est plus exclusivement dans le Hip-hop, mais musique urbaine parce qu’il y a eu un glissement. Dans les thématiques, c’est devenu plus sirupeux (ma femme, mon mariage…). Il faut tout de même avouer que c’est une musique qui marque le temps qui est le nôtre. Il y a quelque chose qu’il faut lire à ce niveau. Pourquoi est-ce que pour l’essentiel, c’est elle qui domine aujourd’hui? Qu’est-ce qui provoque l’engouement des jeunes vers ces musiques?

On peut ainsi dégager quelques pistes de recherches: le public qui la consomme est extrêmement jeune et ceux qui la pratiquent le sont également. A l’époque d’or du Makossa, c’était tout le monde qui aimait cette musique, il n’y avait pas une cible du Makossa comme c’est le cas pour la musique urbaine. Comme autre particularité, les artistes de musique urbaine chantent en français ou en anglais, ce qui touche un plus grand public. Le Makossa n’a pas connu les supports médiatiques, téléchargement en streaming actuels. Et les clips aujourd’hui sont imbattables.

Le Makossa s’est essoufflé. Ben Decca pour moi, c’est un survivant et qui a heureusement de bons restes. Certains tenants du Makossa se sont alignés à la nouvelle donne et d’autres se sont tout simplement mis en retrait.

 

Le manque d’accompagnement des pouvoirs publics dans la musique est décrié…

On va commencer par la question des droits d’auteur. C’est pathétique! L’Etat doit organiser la profession, c’est vrai. Mais, j’accuse les musiciens eux-mêmes. J’ai d’ailleurs écrit une chronique intitulée «Artistes musiciens camerounais réveillez-vous.» Je pense qu’il est important de savoir se prendre en charge pour la simple raison que le ministère de la Culture (Minac) n’est pas le dispensaire des musiciens et artistes. A l’époque, le droit d’auteur était bien géré. Il y a 30 ans les musiciens ne se plaignaient pas comme ils le font aujourd’hui.

Tout à basculer à partir du moment où les musiciens ont demandé à gérer. Vous voyez le paradoxe! Depuis ce temps, toutes les sociétés qu’on a eues ont sombré.

J’interpelle les musiciens à comprendre que la musique, c’est un métier et comme tout métier, il faut un projet de vie. Mettre des sous de côté, prendre des dispositions pour se mettre à l’abri, faire beaucoup de dates… La nouvelle génération le comprend et je m’en réjouis. Pour cela, il faut être bien encadré.

Les artistes doivent comprendre, le milieu de la musique est extrêmement compétitif, il suffit d’un rien pour que tout bascule ou que l’on soit propulsé au-devant de la scène.