C’est en substance le message que l’ambassadeur américain au Cameroun a souhaité donner aux acteurs de la société civile, relativement aux prochaines élections
Le Cameroun pays d’opportunités
La revue Jeune Afrique a présenté le Cameroun comme étant un géant régional. Il existe partout des preuves que le Cameroun a le potentiel pouvant lui permettre d’arborer fièrement ce qualificatif audacieux : le pays affiche un PIB qui dépasse celui de tous les autres pays de la sous-région ; il bénéficie de plus en plus d’investissements directs étrangers ; d’avantage de voies de transport et de communication le liant à ses voisins ; il a connu une croissance régulière, une inflation modérée et un héritage de paix et de stabilité. Il n’y a pas de doute que cette économie soit porteuse d’espoir. Je félicite le gouvernement pour les projets structurants mis en route, ainsi que pour l’adoption d’une stratégie ambitieuse qui, bien mise en uvre, permettrait au Cameroun de retrouver sa juste place, c’est-à-dire, dans le concert des nations à revenu intermédiaire qui sont en voie d’industrialisation. Ce pays dispose des ingrédients nécessaires pour réussir dans l’économie mondiale et réaliser son plein potentiel. Pour ma part, j’ai bon espoir que je verrai ce jour. Réaliser cet objectif n’est pas seulement une question de transformation économique ; cela implique des modifications des modes de pensée traditionnels, de conduite des affaires et de gouvernance. Les pouvoirs publics, tous seuls, ne peuvent pas relever ces défis. Ils interpellent tous les citoyens. Pour devenir un pays à revenu intermédiaire à l’horizon 2035, c’est aujourd’hui que le Cameroun doit tracer sa voie. Il ne saurait attendre l’échéance de 2035 pour agir ; il ne saurait attendre la croissance économique pour mettre en uvre les réformes, la croissance étant impossible sans les réformes. Economistes, sociologues, politologues et autres spécialistes entretiennent une vive polémique quant aux questions de savoir si le développement économique doit précéder la réforme politique ; si la véritable réforme politique doit intervenir d’abord ; ou si le meilleur modèle consiste à s’assurer que les réformes économiques et politiques sont mises en uvre simultanément. Nombre de pays du monde ont prouvé que de nombreux modèles peuvent fonctionner, mais pour ma part, je reste convaincu que dans la réalité, les réformes politiques et les réformes économiques doivent, à la fois, être effectives pour pouvoir s’inscrire dans la durée. Permettez-moi de partager avec vous une étude de cas que je connais bien. Elle est fondée sur l’expérience de mon propre pays, les Etats-Unis.
L’exemple des Etats-Unis
Je suis né dans l’Etat méridional du Tennessee dans les années 1950. Cette décennie a marqué le début d’un mouvement pour l’égalité politique et sociale, mettant en scène des femmes et des hommes bien connus, à l’instar de Rosa Parks et de Martin Luther King, Jr., ainsi que des millions d’autres personnalités moins connues. Au cours des décennies subséquentes, les afro-américains ont réussi à faire valoir paisiblement leurs droits constitutionnels. Aujourd’hui, en dépit des nombreux défis auxquels les États-Unis font face, je me réjouis d’avoir comme président un afro-américain, qui ne se distance de son héritage africain que d’une génération.
Nous sommes venus de loin, et cela n’a pas été facile. Plusieurs décennies se sont écoulées depuis lors. Et pourtant, nous avons encore du chemin à parcourir. Incontestablement, la démocratie est un processus, un processus qui dépend moins de l’écoulement du temps que de la volonté d’un peuple, celle des gens comme vous. Il a fallu prendre des décisions difficiles, qui parfois n’ont pas bénéficié du soutien de la majorité. Nous avons enregistré une transformation massive et une forte croissance, mais les attitudes ont changé, et avec elles les politiques. Les gens ont changé, et avec eux, le pays. À cet égard, et comme l’a déclaré la Secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, dans son discours au Cap le mois dernier, nous grandissons dans nos pays et avec nos pays. Parlant justement de Mme Clinton, il convient de noter que l’autre grand changement enregistré au cours des 60 dernières années a concerné le rôle des femmes. Les femmes américaines sont dotées d’un pouvoir politique et d’un pouvoir économique ; et pourtant, aujourd’hui encore, aux États-Unis, les femmes gagnent en moyenne moins que les hommes ; en conséquence, nous avons encore du pain sur la planche, et les personnes handicapées, les Amérindiens et d’autres groupes sociaux demeurent confrontés à des défis. Cela étant, tous les Américains ont aujourd’hui accès aux possibilités économiques et bénéficient des retombées de la croissance qui a caractérisé une bonne partie des 60 dernières années.
Comment cela peut-il s’appliquer au Cameroun?
Fort heureusement, le Cameroun n’a pas un problème de droits civiques comme celui que nous avions aux États-Unis. Je vous encourage néanmoins à réfléchir aux réformes que votre pays doit mettre en uvre dans la poursuite de son développement. Je vous exhorte aussi à voir comment vous pouvez contribuer à promouvoir l’égalité des sexes, ainsi que l’intégration des femmes et des jeunes à la vie politique et économique du Cameroun. Votre crédibilité en tant que leaders de la société civile est tributaire de votre disposition à respecter et faire respecter les idéaux démocratiques. Elle dépend aussi de votre engagement envers l’équité. Vous êtes des acteurs civiques et non des politiciens. Votre travail consiste à aider les autres à retrouver le chemin vers un Cameroun plus fort, un Cameroun qui offre des possibilités à tous ses citoyens. La stratégie américaine à l’égard de l’Afrique repose sur quatre piliers : renforcer les institutions démocratiques ; stimuler la croissance économique, le commerce et l’investissement ; uvrer pour la paix et la sécurité ; et promouvoir l’égalité des chances et le développement. Si la règle de droit n’est pas respectée de façon durable, aucun de ces piliers ne peut, ou ne pourra avoir une traduction concrète. Aucun de nos efforts au Cameroun ou dans tout autre pays africain ne pourra porter durablement des fruits si les citoyens de ce pays ne font pas preuve d’un effort soutenu visant à renforcer les systèmes juridiques et électoraux en vigueur afin d’en renforcer l’autonomie et partant, la crédibilité. Je vous encourage, en tant que membres de la société civile, à connaître vos lois et votre code électoral. Une justice équitable et efficace et des élections justes et transparentes constituent les meilleurs outils pour combattre la corruption, renforcer les institutions et préserver la paix. Elles servent de main invisible et de moyen d’incitation sociale nécessaires pour réguler les comportements. Une paix fondée sur la règle de droit et des élections justes est une paix durable et soutenable. Parce que c’est la loi du peuple, par le peuple et pour le peuple. Dans mon pays, que la ségrégation eut été légale ou illégale, autorisée ou non, elle ne fut jamais moralement légitime. Thomas Jefferson, l’auteur de la Déclaration d’Indépendance de Etats-Unis, notre premier secrétaire d’État et notre troisième Président, résuma la situation en ces termes, « Les intérêts d’une nation, quand ils sont bien compris, coïncident avec les devoirs moraux de son peuple. »
La primauté du droit
Au cours de cette dernière année, l’état de droit au niveau du Cameroun a retenu toute l’attention du public. L’Opération Epervier, cette campagne de lutte contre la corruption, a connu un nouvel élan. Des procès équitables, rapides et transparents sont essentiels à la réussite de tout effort de lutte contre la corruption. Les États-Unis soutiennent fermement la lutte contre la corruption ; en fait, nous attendons avec impatience la promulgation d’une loi anti-corruption et la mise en uvre de l’article 66 de la Constitution sur la déclaration des biens. Nous pensons que les prochaines élections législatives et municipales offrent une excellente occasion de rendre la déclaration des biens effective. Les droits humains, l’état de droit et la démocratie ne constituent pas une religion. La démocratie est un système de gouvernance. Ce n’est ni une unanimité de pensée, ni une unanimité de croyance ; c’est une expression de la diversité. Pour protéger toute démocratie, le peuple doit avoir le droit de s’exprimer et de se réunir librement, notamment quand il souhaite partager d’autres idées ou points de vue. Réagissant au point de vue du philosophe français Voltaire, l’écrivain anglais, Evelyn Beatrice Hall déclara : «Je désapprouve ce que vous dites, mais je défendrai jusqu’à la mort votre droit de le dire. » En d’autres termes, la liberté d’expression ne doit pas être subordonnée à la teneur du discours. Le débat politique et les idées contradictoires sont inhérents à la santé même d’une démocratie. Cela peut aller à l’encontre de ce que beaucoup d’hommes politiques à travers le monde souhaiteraient – à savoir, l’absence d’une opposition. Pourtant, sans des solutions de rechange en politique, il n’y a ni obligation de rendre des comptes, ni possibilité d’opérer des choix. Un pays est constitué de la somme de tous ses citoyens, de ses valeurs, de ses croyances, et de ses ressources naturelles. C’est le gouvernement qui représente le peuple et non le contraire.
Observation d’élections et réformes électorales
J’ai longuement parlé de la citoyenneté, mais il ne faut pas négliger l’autre objectif de cet atelier, à savoir : l’observation électorale. Les inscriptions biométriques sur les listes électorales vont bientôt commencer, ce qui constitue une avancée significative. J’exhorte tous les Camerounais ayant atteint l’âge requis à s’inscrire pour pouvoir voter afin de faire entendre leurs voix lors des prochaines élections législatives et municipales. Je continue de croire que des réformes supplémentaires rendraient ces élections davantage crédibles. Dans cette perspective, un certain nombre de questions méritent une attention particulière , à savoir : quota pour les candidats femmes ; circonscriptions à candidat unique, sur la base du principe « une personne, une voix » ; bulletin de vote unique ; publication des listes électorales sur internet afin de permettre à tous de dépister d’éventuelles erreurs ; distribution à temps des cartes d’électeurs ; prolongement de la durée de campagne ; abrogation de la clause ambiguë du code électoral unique, qui empêche « les agents des entités étrangères » de se porter candidats, identification des bureaux de vote de façon claire et bien à l’avance ; davantage de formation pour les agents et les scrutateurs électoraux ; sensibilisation supplémentaire des électeurs sur le processus même de vote ; accréditation de tous les observateurs par ELECAM ; utilisation d’encre indélébile, correctement appliquée et vérifiée ; réduction des bureaux de vote dans les zones urbaines et instauration de plus d’un isoloir par bureau de vote en vue d’une meilleure couverture par les responsables et les représentants des partis ; prise de dispositions complémentaires pour les électeurs handicapés physiques ; urnes correctement scellées ; fermeture des bureaux de vote une heure avant le coucher du soleil ; annonce et publication des décomptes de votes par bureau de vote ; et couverture médiatique équilibrée.
Qu’il y ait une autre réforme du cadre juridique avant les prochaines échéances électorales ou non, la société civile camerounaise doit pouvoir coordonner ses efforts afin de couvrir davantage de bureaux de vote, si elle veut véritablement uvrer pour des élections transparentes. A titre indicatif, un représentant de la société civile ne pourrait-il pas observer les élections dans deux bureaux de vote voisins ? Les différentes organisations impliquées dans l’observation des élections ne pourraient-elles pas s’entendre à l’avance par rapport aux bureaux de votes que les unes et les autres doivent couvrir, cela afin de maximiser la couverture générale ?
Conclusion
Excellences, Monsieur le Préfet, Mesdames et Messieurs, Le développement humain n’est pas seulement une question d’augmentation des revenus ménagers. Il concerne l’amélioration de la qualité de vie dans les ménages. C’est une question d’opportunités et de droits humains universels. Comme Robert F. Kennedy l’a également déclaré au Cap il y a près de 50 ans, un avenir idéal nécessite une nation qui respecte les droits humains universels, uvre pour la justice sociale, accélère le progrès, et libère tous ses citoyens afin qu’ils puissent donner libre cours à leurs talents. Si le développement économique peut être quantifié au moyen de la croissance du PIB, il reste tributaire des réformes économiques et politiques. Je vous félicite, vous et votre gouvernement, pour les changements ambitieux et le programme de croissance que vous entendez mettre en uvre. J’ai abordé ce matin certains sujets sensibles concernant notamment les droits humains, l’activisme civique et le respect de la primauté du droit. Je vous exhorte à construire un Cameroun plus fort, un Cameroun qui sait préserver ses atouts précieux, y compris la paix et la stabilité. Comme l’a déclaré le président Obama, nous avons besoin d’institutions fortes. Les Etats-Unis sont fiers de collaborer avec vous, et nous vous souhaitons un grand succès dans les partenariats que vous forgez les uns avec les autres.
Merci de votre aimable attention.
