Cameroun-Véronique Moampea Mbio : «Au marché international, les produits pétroliers sont payés cash»

Le directeur général de la Société camerounaise des dépôts pétroliers (Scdp) parle des raisons de la pénurie de carburant, des mécanismes d’approvisionnement en carburant au Cameroun, ainsi que de la subvention de l’Etat. L’entretient est disponible sur la compte Scdp officiel de Facebook.

Le carburant se fait rare à la pompe depuis quelques jours. Pouvez-vous nous dire quel est le mécanisme d’approvisionnement du Cameroun en produits pétroliers ?

Le Cameroun aujourd’hui est approvisionné par voie d’importation, car depuis mai 2019, notre outil de production a été endommagé par un accident ayant paralysé toutes les colonnes de distillation permettant d’avoir des produits raffinés à partir de la Sonara. Immédiatement, le gouvernement a mis en place un schéma d’approvisionnement à travers les importations. Ce schéma a pris effet à partir de mars 2020 par appel d’offres et ce sont les traders qui devaient nous livrer les produits pétroliers.

Cette situation était sans compter pour le contexte international actuel. Ces rappels signifient que notre pays est approvisionné via la Sonara et d’autres importateurs par les traders. Ces derniers nous apportent le produit et le livrent progressivement en fonction des enveloppes et en fonction de la capacité financière de chaque importateur.

Quelle est la responsabilité de la Société camerounaise des Dépôts pétroliers dans la situation actuelle ?

 La Société camerounaise des Dépôts pétroliers (SCDP) n’est pas un producteur de brut, ni n’est pas non plus un vendeur, encore moins un importateur de produits. La SCDP intervient uniquement dans la chaîne logistique. Je veux parler ici du stockage et de la distribution à partir du dépôt principal de Douala vers les dépôts intérieurs. Les produits stockés dans les bacs de la SCDP appartiennent aux marketeurs qui ont acheté le produit auprès des importateurs.

Il arrive que les marketeurs soient en même temps des importateurs. Je rappelle qu’il s’agit de deux activités bien différentes : l’importation des produits pétroliers et leur distribution sur le marché national.

La SCDP reçoit donc les produits de ces marketeurs et de ces importateurs à partir de la Sonara par cabotage du port de Limbé vers le dépôt principal de Douala et directement à partir du Port autonome de Douala. La responsabilité de la SCDP réside donc en ce qu’elle devrait gérer les stocks qui lui sont confiés en bon père de famille comme j’ai l’habitude de le dire. En d’autres termes, en fonction de ce que nous avons, nous le mettons à la disposition du marché.

En somme, la SCDP n’intervient que pour redistribuer. Nous remettons aux propriétaires les produits pétroliers qu’ils ont stockés dans nos cuves. L’autre partie des produits pétroliers stockés à la SCDP est destiné au stock de sécurité.

La pénurie actuellement observée dans les stations-service pourrait-elle avoir un lien avec les événements d’Ukraine ?

 Depuis l’incendie de la Sonara, étant à la merci du marché international évoluant au gré des fluctuations des cours du marché pétrolier, nous sommes fragilisés en ce qui concerne l’approvisionnement en produits pétroliers.

La deuxième raison pour laquelle nous connaissons ce problème est la rareté des devises. Ça, on ne le dit pas assez, mais les importations de produits pétroliers nécessitent beaucoup de devises. Ceci nous amène à un déséquilibre au niveau de la balance commerciale. Il y a six mois par exemple, une cargaison de 10 à 12000 tonnes de triple produit coûtait cinq millions de dollars.

En raison de la crise en Ukraine, de la rareté des produits, la même cargaison coûte aujourd’hui 15 millions de dollars. Si vous faites la différence, vous allez comprendre sous quelle pression la BEAC se trouve en même temps que les autres banques en ce qui concerne le financement d’un tel volume d’activité économique.

Depuis cette tension, on observe que certaines stations-service ont des produits pétroliers et d’autres pas. Pourquoi ?

Il arrive que dans la situation actuelle, certains marketeurs n’aient pas la possibilité de financer leur achat de produits pétroliers, mais aussi éprouvent des difficultés, pour ceux qui ont même la possibilité, à trouver ce que nous appelons dans le jargon technique, des lettres de crédit qui permettent d’acheter les produits pétroliers auprès des traders.

Lorsque je disais tantôt que le prix d’une cargaison est passée du simple au triple en quelques mois, cela voudrait dire que les disponibilités, les lignes de crédit que les banques allouent aux différents importateurs sont largement dépassées de même que cette situation entraîne les banques à se refinancer auprès de leurs maisons mères pour pouvoir tenir face à cette pression du marché.

Donc, le mécanisme d’approvisionnement des produits pétroliers, en fonction de la situation du marché international, entraîne inévitablement ce que nous appelons aujourd’hui le manque à gagner de l’Etat. Le ministre de l’Eau et de l’Energie a fait un communiqué qui présente bien la situation actuelle, avec un manque à gagner pour le premier semestre qui s’élève à un peu plus de 317 milliards de f.

Que doivent comprendre les consommateurs ?

Globalement, les consommateurs doivent savoir que pour ce mois de juillet, pour chaque litre de gasoil pris à la station à 575 F, le gouvernement, à travers les instructions du président de la République, paie 778 F. En ce qui concerne le super, le gouvernement subventionne chaque litre à 643 F. Pour chaque litre de pétrole lampant que nous achetons à 350 F à Douala, le gouvernement débourse 758 F.

Alors, devant cette situation, vous comprenez que les finances publiques soient aussi sous pression. 317 milliards de subventions en six mois nous amèneraient dans les estimations actuelles à plus de 600 milliards en fin d’année. Il faut donc que quelqu’un paie. Au marché international, les produits pétroliers sont payés cash. Quelle que soit la tension que vous allez observer aujourd’hui, de manière progressive, dans les prochains jours, nous allons remonter les produits pétroliers.

Il faut relever qu’au niveau de Douala, dès que nous avons un navire, il est facile d’alimenter Douala, mais à cause de la distance qui nous sépare des autres dépôts intérieurs de Yaoundé, on peut prendre encore 24 heures pour que les produits arrivent à destination. Aussi, appelons-nous les consommateurs à la patience face à une telle situation.

Au niveau de Limbe, nous disposons actuellement d’un navire de 28 mille mètres cube de super, 88 mille mètres cube de gasoil en attente de déchargement dès que les conditions financières seront réunies. Au niveau du large ici à Douala, nous sommes en train de décharger 17 mille mètres cube de gasoil, 15 mille mètres cube de super et 12500 mètres cube de jet.

Au moment où je vous parle, nous venons de faire entrer le navire de gasoil qui permettra aux consommateurs dès ce soir (13 juillet 20222, NDLR) de trouver du nécessaire à la pompe.

Cameroun : le gasoil se fait rare

Sur six stations-services parcourues dans la matinée du 12 juillet 2022, une seule possède le gasoil en stock limité.

 

Trouver du gasoil à Yaoundé relève d’un parcours du combattant. Ce mardi 12 juillet 2022, André, conducteur d’un mini-bus de transport en commun sur le trajet Yaoundé-Soa, a démarré la journée avec quelques litres le gasoil dans son réservoir. « Je n’ai pas pu faire le plein comme d’habitude en allant garer le soir, on va carburer en chemin », dit-il à ses passagers au départ de Soa pour rallier Yaoundé, alors qu’il est environ 6h50.

A la première station juste à quelques mètres de la gare routière, le chauffeur n’ose pas s’arrêter. Il connait d’emblée la réponse. « Ils n’ont pas de carburant. J’ai demandé hier soir », signale-t-il en poursuivant son chemin. A plus d’un kilomètre, non loin du campus universitaire, une autre  station sert du carburant aux motocyclistes. A notre arrivée, il n’y a aucun véhicule proche de la pompe. Du  coup, l’assistant du conducteur (motorboy) a préféré poser la question à distance. « Man il y a le gasoil ? », de toute évidence, la réponse est négative : « non babana (appellation vulgaire des motorboys), on attend encore », indique-t-il.

A 7 km de Soa, se trouve une autre station-service. Contrairement au vide observé à la précédente, il y a une file de voitures. Chaque chauffeur bataille pour intégrer le rang. Or au bout de la patience, la surprise est désagréable. « Il n’y a pas le gasoil, on ne nous livre  pas depuis des jours », déclare le pompiste.

Il est déjà 7h et quart, les passagers en majorité des travailleurs, commencent à s’indigner en se plaignant de la lenteur du véhicule. « Nous allons au travail et nous serons en retard », avance l’un d’eux. « Pourquoi tu n’as pas carburé hier soir ? » A cette question, le conducteur répond : « je vous l’ai dit au départ, je n’ai pas eu du carburant le soir. Vers 18h, je suis allé pour le faire, mais on m’a exigé de prendre du carburant de 7 200 francs seulement (ce qui équivaut à environ 10 litres Ndlr) J’ai roulé et il en reste un peu », explique-t-il.

Sur ces  explications, nous  arrivons à la prochaine station au quartier Fougerole à Yaoundé. Ici, entre véhicules de tourisme, taxis, autres mini-bus, mototaxis et autres personnes munies de bidons, c’est sauve qui peut. Chacun veut être servi le premier. Le motorboy descend et s’assure qu’il y a le gasoil. A la grande  surprise de tous, la réponse est « oui ». Mais, il faut s’aligner et patienter son tour. Environ 30 minutes d’attente, notre mini-bus se sert à la pompe.

Le chauffeur demande le produit pour 10 000 francs CFA. « Non, tu ne peux pas déborder la limite de 5 000 FCFA. Ici, on rançonne. Chaque usager a droit au gasoil de 5 000 FCFA. On doit servir le maximum de personnes », a-t-elle précisé. Contraint, le chauffeur n’a pas pu faire autrement.

Du côté de Mballa 2, la  situation est encore plus difficile. Les véhicules sont en attente sur une file allant du Carrefour Régis jusqu’au quartier Emana. La même pénurie est observée sur toute  l’étendue du territoire nationale. Les camions qui desservent la partie septentrionale du pays sont stationnés à Douala et à Yaoundé. Ils sont dans l’attente du carburant pour enfin se remettre en route.

Face à cette situation, le gouvernement a annoncé lundi 11 juillet des mesures prises pour pallier la pénurie.

Cameroun : le gouvernement prend des dispositions face à la pénurie de carburant

Le ministre de l’Eau et de l’Energie Gaston Eloundou Essomba annonce le déchargement progressif de 185 000 mètres cube de carburant dès le 11 juillet 2022.

La sécheresse des pompes dans des stations-services observée depuis le week-end dernier a provoqué la réaction du gouvernement. « Ces perturbations sont dues principalement à l’importante  enveloppe de la subvention des prix à la pompe qu’il faut qu’il faut mobiliser en temps réel pour assurer les importations des produits pétrolier. Pour le seul mois de juin, cette subvention encore appelée manque à gagner s’élève à 80 milliards de francs CFA », annonce le ministre de l’Eau et de l’Energie dans un communiqué en date du 11 juillet 2022.

Néanmoins, à en croire le communiqué, sur instruction du président de la République Paul Biya, des mesures ont été prises pour pallier la pénurie. Depuis lundi 11 juillet 2022, des volumes de produits pétroliers parvenus au pays par les eaux, sont déchargés à l’entrée du pays.

Il s’agit de « 28 000 mètres cube de Super, 22 000 mètres cube de Gasoil et 12 000 mètres cube de Jet A1 », déclare le ministre. Le membre du gouvernement précise que ces produits seront mis à la consommation de manière progressive. Et que « des volumes supplémentaires de 88 000 mètres cube de Gasoil et 35 000 mètre cube de Super sont disponibles dans nos eaux et seront déchargés dans les prochains jours », rassure Gaston Eloundou Essomba.

Pour rappel, il y a quelque temps, le gouvernement a volé au secours de la Sosucam pour lui permettre de continuer à produire du sucre. L’entreprise a annoncé le 22 avril dernier, la suspension des activités à l’usine de Mbandjock, en raison des restrictions de fourniture du Gasoil par son fournisseur. Grâce au gouvernement, dans un contexte de hausse généralisée des prix du carburant à l’échelle mondiale,  Sosucam a bénéficié d’une livraison de carburant. 222 000 litres de gasoil, soit respectivement 71 000, 95 000 et 56 000 litres les 22, 23 et 25 avril.

Par ailleurs, l’Etat continue de procéder par  subvention, pour maintenir le prix actuel du carburant. Selon le ministre du Commerce Luc Magloire Mbarga Atangana, l’État devrait dépenser 672 milliards de FCFA en termes de subventions en 2022, soit 376 milliards pour le gasoil.