*Olivier ATINBOP
De l’influence financière et matérielle aux intimidations des élites et élus locaux pendant les périodes électorales; comment comprendre ces phénomènes, les méthodes et modes d’emplois et surtout comment y remédier? Parlons-en!
La manière avec laquelle les campagnes électorales se déroulent au Cameroun est assez particulière, voire symptomatique. Pour avoir personnellement vécu cette situation comme témoin oculaire durant la dernière campagne électorale, dans la Caravane du candidat Cabral LIBII et donc comme membre de l’équipe restreinte de campagne, j’ai la prétention, grâce à ce vécu et à la cinquantaine de villes et villages parcourus à cette occasion, d’avoir un prisme d’observation pouvant me permettre d’en parler avec autorité. Comme petite mise en bouche, je peux d’emblée vous dire que durant notre périple, j’ai, de manière abasourdi, vu passer d’énormes camions et gros porteurs à l’effigie du RDPC, remplis de nourriture en direction des zones de campagne, l’indispensable instrument de stratégie pour ces politiciens, que dis-je, ces politicards, pour nourrir ce qu’ils considèrent comme leur bétail électoral. Passons!
Comment cela est-il possible? Comment cela se passe-t-il? Voyage au cœur des dédales de manœuvres utilisées par d’illustres impopulaires en quête de suffrages.
Pour bien comprendre la formule employée, il faut savoir que les responsables du parti politique au pouvoir sont pour la plupart vomis par les leurs. Car une fois aux affaires, bon nombre d’entre eux ont une seule obsession, se constituer une colossale richesse pour mieux asservir les autres et asseoir leur hégémonie. Du coup, très vite se crée la distance avec les populations qu’ils considèrent alors comme de minables indigènes. Et quand arrivent les périodes électorales, ils se trouvent alors obligés de recourir à ces malheureux pour avoir leurs votes et brandir à la hiérarchie qu’ils ont les faveurs des leurs. Mais comme les liens sont désormais coupés il faut alors procéder par monnayage.
Pas d’autre choix alors que d’offrir des dons en nature aux populations pour les attirer à venir assister aux meetings politiques. Et ces cadeaux sont offerts dans le but immédiat de convaincre cet électorat potentiel à voter en faveur du RDPC. Pour ce faire, le discours aussi se doit de s’accommoder. Vous les entendrez alors vilipender de manière outrancière leurs adversaires de l’opposition les traitants au passage de pauvres affamés à la quête de « leur part ». La dernière trouvaille pour ces loosers était l’opération de fund-raising du candidat Cabral LIBII qu’ils ont critiqué sans vergogne prétextant qu’il a floué le peuple pour s’en mettre plein les poches, pourtant au sein du parti dont l’effigie est la flamme, les contributions des hauts cadres d’administration et des hommes d’affaires est une obligation officieuse.
Mais alors signalons que cette pratique du « don électoral » ne date pas d’aujourd’hui. Déjà dans les années 80, les politologues avaient identifiés ce phénomène sous l’appellation de la « politique du ventre ».
En fait de quoi s’agit-il ? Il s’agit ici simplement d’un rapport entre d’une part les marchands politiques et d’autres parts une clientèle électorale, voire ethnique.
Cette clientèle électorale subit donc des pressions alimentaires voire des pressions de type ethnique.
Les « pressions ethniques » consistent à demander aux électeurs de voter pour leur « frère » ou pour celui qui les parraine.
Et Les « pressions alimentaires » se résument soit à offrir à manger et à boire à son électorat, soit à promettre la nomination d’un fils de la localité à un poste important dans les hautes sphères de l’État, ou encore à entrevoir la réalisation d’une infrastructure de développement, comme des routes, l’électricité etc. afin d’obtenir ses suffrages.
La « pression ethnique » utilise la stratégie de la corruption morale et la « pression alimentaire » déploie l’arme de la corruption matérielle et financière.
C’est comme cela que nous avons assisté durant la dernière élection présidentielle à la naissance du néologisme Sardinard, qui résume cette pratique popularisée par le RDPC pour corrompre matériellement et financièrement l’électoral à la veille des élections.
En analysant ce phénomène plus en profondeur, on peut se poser la question de savoir qui devrait-on blâmer ? L’électeur qui accepte de se faire corrompre avec du pain et de la sardine ou du savon, de l’huile, des pagnes ou autres produits de grande consommation ? Ou alors le politicien qui corrompt avec ces dons en nature?
La vérité c’est que cette pratique de don électoral participe à une stratégie savamment orchestrée par le parti au pouvoir qui s’arrange à maintenir et entretenir les populations dans des conditions de survie précaire afin de les transformer en bétail électoral la veille des élections.
Après avoir organisé comme ils savent très bien le faire, l’asservissement volontaire de toutes les couches sociales à travers les mécanismes de la clochardisation et de l’inanition (action de gouverner par la faim), le RDPC donne, à chacun, l’équivalent de ce qu’il mérite : après acceptation de certaines pratiques et initiation dans certaines structures du pouvoir, les cadres vont recevoir des postes de gestion budgétaire. Le bas peuple reçoit, dans toutes les manifestations où il est convié par le RDPC, un morceau de pain et une boîte de sardine à huile. Et dans ces foires d’empoigne, on voit le peuple se déchirer pour obtenir sa pitance septennale.
D’ailleurs, il faut noter que nous avons également observé ce phénomène dans les meetings des autres partis de l’opposition notamment le MRC.
Pourquoi cela se passe ainsi ? J’ai fait ma propre analyse. En fait c’est très simple. La politique c’est une histoire d’offre et de demande entre le politicien et un électeur. Quand un politicien n’a rien à offrir en termes d’idées, il se retrouve obligé de monnayer son électorat dans l’espoir de l’attirer à venir écouter son mensonge.
Mais à contrario quand un politicien a des idées, qui contribuent réellement à l’amélioration des conditions de vie des populations, ce sont ces derniers qui vont même vouloir contribuer financièrement pour écouter le politicien et le soutenir dans ses actions.
J’ai pris le temps d’observer ce phénomène lors de la derrière campagne électorale. Des milliers de citoyens qui ont décidé de contribuer financièrement à la campagne de Cabral LIBII, souvenez-vous du meeting de la cité Cicam et d’autres meeting de OMC au Cameroun, des citoyens, par milliers, qui contribuaient en cash durant les meetings, parce qu’ils étaient satisfaits de l’offre politique qui leur avait été proposé par Cabral LIBII. Nous avons ainsi fait toute la campagne sans distribuer le moindre don, même pas les t-shirts, même pas de gadgets. Rien de tout cela, pourtant très nombreux étaient les populations qui se rendaient à nos meetings.
Vous avez pu suivre les slogans qui ont été lancés bénévolement par le peuple durant les campagnes à Kribi, à Douala, à Bertoua etc.
– Cabral On ne veut pas le choko, on veut le changement,
– Leur argent, on s’en fout, leur pain/sardine on s’en fout…
– On ne veut pas les t-shirts, on veut voir Cabral !
Oui c’est ça, quand tu es satisfait d’un produit, ici en l’occurrence de l’offre politique, tu es prêt à payer pour l’avoir, tu es prêt à payer pour écouter le politicien qui fait cette offre. Mais quand un produit est de mauvaise qualité, le vendeur sera prêt à te corrompre pour que tu l’achètes. C’est là que nous devons désormais devenir très vigilent.
Alors quelles solutions pour sortir de ce désastre?
1- Les politiciens doivent améliorer leur offre politique.
Une offre politique riche et dense qui contribue réellement à l’amélioration des conditions des vies des populations sera de facto plébiscitée et il ne sera plus nécessaire de corrompre qui que ce soit avec de la sardine.
2- La politique de proximité et la formation à la citoyenneté
C’est aussi le rôle des partis politiques de descendre sur le terrain, d’aller à la rencontre des citoyens, notamment dans l’arrière-pays pour expliquer les bien-fondés du changement. C’est un travail difficile, qui prend du temps, mais qui porte ses fruits. Il faudra aussi améliorer l’accès à l’information et assurer le maillage territorial pour chaque parti politique.
3- Adopter l’approche progressive par l’offrande et la réalisation des projets d’utilité publiques en lieu et place de l’offrande des produits de grande consommation
Si un candidat, politicien souhaite offrir un présent aux populations, il est souhaitable que ce présent soit une œuvre d’utilité publique ou un produit d’investissement (forage, électricité, anglais, semence etc…). Nous devons bannir l’offrande des produits de grande consommation (pains/sardine, huile, savon, pagne etc.). Cela contribue à l’infantilisation de nos populations.
4- Lutte contre la corruption
D’où provient l’argent utilisé pour acheter la sardine ?
Tous les Etats qui luttent contre le phénomène de corruption s’accordent sur la nécessité de conduire une action préventive et d’y associer la société civile. Chaque organisation, y compris les partis politiques, peut en effet agir, à son niveau, afin de prévenir et détecter les manquements à la probité. Toute entreprise, toute administration ou toute association désireuse de prévenir efficacement la corruption, doit concevoir un dispositif anticorruption interne pouvant faire l’objet d’un audit par les représentants du peuple. Il faudra mettre en œuvre un dispositif d’alerte interne et protéger les lanceurs d’alerte, former les personnels et les responsables dans tous les partis politiques. Aussi, il devient nécessaire de revoir l’article 276 du 19 avril 2012 portant sur le financement des partis politiques.
5- Le changement de mentalité des Camerounais
Pour à nouveau donner confiance aux Camerounais et les inciter à participer à la vie politique de leur pays, des actions doivent être menées aussi bien en dehors du processus électoral que pendant les élections et autant auprès des citoyens qu’au sein des institutions : améliorer l’éducation et la sensibilisation à la démocratie, par l’intermédiaire des médias et de l’école, assurer l’autonomie des institutions responsables des élections, limiter les pouvoirs du chef d’État, renforcer les conditions d’éligibilité aux élections, simplifier et fiabiliser la procédure d’inscription des électeurs et confier le suivi des élections à des structures crédibles.
Que vaut une boîte de sardine par rapport à la souffrance d’une vie ?
Olivier ATINBOP
*Candidat aux prochaines élections législatives dans le Bamboutos
*La titraille est de la rédaction