Reporter cadavérique: un drôle de «métier» au Cameroun

Par Fabrice Nouanga

J’ai assisté aux obsèques du « gars », (non officiel) d’une connaissance mbenguiste, tout récemment à Lolodorf, chez moi. Au moment où on s’apprêtait alors à descendre le cercueil dans la tombe, la pauvre a seulement failli entrer en transe. C’est vrai qu’elle pleurait en « whitisant ». Je ne savais d’ailleurs pas que mes s urs « Ngoumba » savaient si « nyangalement » pleurer ! Tellement c’était dur, que j’ai cru qu’elle allait entrer dans le cercueil de son «chéri ». Aïe, comme ça faisait si mal ! Perdre un être si « cher »!

C’était donc assez émouvant, mais surtout spectaculaire. Elle en faisait trop j’avoue tout de même. Et pendant que j’essayais vainement de la consoler, subitement, je voyais une de ses amies, s’avancer presqu’en courant, perchée sur ses hauts talons pointus, avec sa mini-jupe ensorcelante, tablette au poing, s’apprêtant à prendre des vidéos et des photos, comme un paparazzi qui a vu un scoop. J’avais déjà quand même remarqué depuis la morgue que son travail à elle, depuis le début de ces obsèques, consistait uniquement à photographier et faire des vidéos de tout ce qui se passait d’insolite. Pire, plusieurs fois, elle est même allée jusqu’à dans le cercueil du mort, photographier le pauvre macchabée. Un vrai reporter cadavérique. Le « métier » qui fait de plus en plus rage au Cameroun. Beaucoup s’y sont découvert une passion déconcertante.

Au moment où elle s’apprêtait donc de nouveau à prendre des vidéos et des photos, son amie en pleines larmes, je l’ai repoussée sans autre forme de procès. Ben Non quand même! Je ne pouvais pas continuer à laisser faire ça. Comment peut-on filmer des gens entrain de pleurer à chaude larmes sur leur mort? Comment peut-on photographier un mort couché dans un cercueil? Comment peut-on photographier un malade grave qui se bat avec la mort et exposer cela en mondovision? Quand on t’envoie, il faut savoir t’envoyer. Ce n’est pas parce qu’on t’a dit de venir filmer que tu vas tout filmer dis donc!

Photographier des morts est si indécent et intolérable.
Évidemment, vous me direz que filmer ou photographier des obsèques et des morts, peut s’appliquer à un proche qui n’est forcément pas Françoise Foning, Charles Ateba Eyene ou Anne Marie Ndzié! Eux ils étaient quand même si célèbres c’est vrai, et pouvaient donc mériter ça. Ça permet d’immortaliser l’évènement, me dira-t-on ! Non, mais franchement ! Mais quelle impression ça fait finalement, de s’asseoir dans son salon, après l’enterrement d’un proche, avec toute la famille, des amis et tous les voisins, puis mettre en écran géant, la vidéo ou le diaporama des photos du deuil d’un proche et se regarder.se rouler au sol, en larmes et inconsolable ; regarder ses proches et ses amis, (dont certains sont même parmi vos invités), pleurer à chaudes larmes, parfois sans mouchoirs ; regarder surtout le pauvre mort, couché là, inerte ? Et entendre les gens dire : « humm, c’était quand même un grand deuil hein ; le mort-là était tellement chaud et souriant jusqu’à! »

Oui, qui n’a donc jamais vu ces photos et ces vidéos de morts se balader partout dans les téléphones, les tablettes, sur les réseaux sociaux, dans certaines télévisions ? Ces morts qu’on affiche partout et montrent à qui veut les voir, du lit de mort, à la morgue, jusqu’au tombeau ? Eh oui, il y a effectivement des gens mal intentionnés comme ça, qui adorent tellement avoir en leur possession ce genre de vidéos et de photos tristes des obsèques et des personnes décédées, les admirant et les montrant à qui veut les voir, à longueur de journée.

Ce genre de reporter, voudrait à tout prix savoir tout sur les stars qui sont venues au deuil, les personnalités qui étaient là, comment les gens étaient habillés, la façon dont le mort était sapé, le genre de bois avec lequel le cercueil a été fabriqué, si le mort riait dans son cercueil ou était triste, s’il était gros ou maigre.Ils veulent tant voir comment les gens pleuraient, pour en rire et se moquer ; ils veulent les voir en peine et « insulter » les proches du défunt (qui l’ont tué comme toujours) ; ils veulent apprécier les prestations d’artistes, la quantité de nourriture et de vin ; bref, nos reporters cadavériques sont ces gens qui ne vont jamais vraiment dans les deuils pour le mort, mais veulent juste profiter des vidéos et photos «insolites» pour leurs commentaires de quartiers et leurs buzz sur Facebook ! Quel drôle d’hommage ! Que d’indécence!

Personne au monde, je dis bien personne, ne souhaiterait que les gens le regardent, (qui plus sont, des inconnus), ainsi couché, après sa mort, comme dans un film d’horreur. Chers tous, un peu de pudeur voyons! Pourquoi certains Camerounais et Africains manquent-ils donc si bizarrement et si cruellement de tact et de savoir vivre ? Non, la mort n’est pas le baptême ou le mariage quand même ! Eh, si le mort là pouvait se relever et sortir de la vidéo ou des photos là, vous gifler vous tous qui le regardez couché là, « clak, clak, clak », casser tous vos « machins » d’appareils là, « crak, crak, crak » et de se rendormir en paix et éternellement !

La mort n’est pas un spectacle gai pour en faire de la publicité.
Oui, je peux comprendre que ces reporters d’un autre genre, aient été tellement attachés au défunt, et qu’ils veulent donc toujours rester, jusqu’à la dernière minute en contact avec lui. Chose normale ! Personne ne le leur refuse. C’est leur droit le plus absolu. Mais, puissent ces gens comprendre que, la mort n’est pas un spectacle gai qu’il faille à tout prix immortaliser comme une archive et le montrer à tort et à travers au premier venu ? La mort, c’est triste, c’est mélancolique, c’est effroyable ! Elle n’est pas une « imbécilité ». Alors, n’en faisons pas de pub!

Et puis, je demande, filmer les obsèques là et photographier des morts, c’est même pour qui à la fin ? Le mort ou vous? Sachant que le mort lui, est déjà parti non; qu’il ne reviendra plus jamais ! C’est sûr ! A quoi ça sert donc finalement de le photographier?
Se livrer donc à de telles bassesses et autres « barbaries », c’est comme si on devait enterrer le mort avec ces lecteurs DVD, ces Smartphones, ces ordinateurs, ces photos prises et enregistrés, ces CD, pour qu’ils revoient paisiblement ses tristes obsèques là-bas où il s’en est allé dans l’au-delà. NON !!! Trois fois NON !!! Il faut respecter la mort et les défunts ! Ils ne méritent pas ça et n’auraient jamais accepté pareils traitements, de leur vivant! La mort est tellement dure ! Il n’est donc pas question de la banaliser autant, en vilipendant ainsi, les pauvres défunts au travers des images et autres vidéos publiées çà et là, et diffusées partout, sans le moindre respect de la dignité humaine.

Respecter la mort, c’est respecter la vie, parce que personne ne choisit de mourir et souhaite se voir sur des vidéos et des photos, enfermé dans un cercueil, les gens pleurant autour de lui! Il est absolument nécessaire qu’on arrête cette laide besogne et qu’on apprenne enfin à respecter nos chers morts.

L’affaire de filmer les deuils ci ; j’ai moi dit. Moi en tout cas, le jour de ma mort, celui qui me photographiera aura de mes nouvelles dans son téléphone ou sa tablette. Ça risque sortir, comme ça devra sortir!

Au Mboa, nous sommes vraiment formidables!

Paix aux âmes de ceux qui nous ont précédés !!! Que la terre de nos ancêtres leur soit légère.


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Nécrologie: Ateba Biwolé range sa plume

A 29 ans, le chef Desk des sports du quotidien Le jour rend l’âme à Yaoundé au bout de deux mois de maladie

Ateba Biwolé est décédé le 06 décembre 2015 à l’hôpital Jamot de Yaoundé des suites de maladie. De son véritable nom Ulrich Fabrice Ateba Biwolé, le reporter laisse derrière lui un nourrisson, une cadette inconsolable, des collègues abasourdis et des lecteurs orphelins à jamais de lui. Après onze années, d’un style rédactionnel aimé, la plume du reporter désormais ex-chef Desk des sports du quotidien Le jour se brise.

Pur fruit de l’Ecole supérieure des Sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic), l’homme qui appartenait à la 35e promotion (2004-2007) de la filière Journalisme s’y faisait appeler « l’aristocrate » du fait de son look vestimentaire. Les anecdotes, il y en a plusieurs à son sujet. Il fallait être lui pour s’imaginer pouvoir sortir son collègue d’un car de police. Un geste de bravoure parmi tant d’autres, qui lui a valu d’être considéré par ses proches comme une personne fougueuse, courageuse.

Combattant jusqu’au bout, il a toujours su se relever même quand la police le rouait de coups. Seulement, c’est un tout autre coup qui a eu raison de lui : le coup de la vie. Cette fois, il faut croire qu’il n’en pouvait plus.

A 29 ans, Ulrich Fabrice Ateba Biwolé s’éteint et laisse plus d’un sans mot, avec le souvenir d’un talent parti trop tôt.

Parti trop tôt.
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