Il ne fait pas beau être mineur étranger en CRA à Bordeaux

Par Odette Toulet, RESF

Retour sur une semaine d’audiences

Lundi 13 octobre- Tribunal administratif (TA) audience n° 1
Kamel Nwazou né en 1997, lycéen camerounais scolarisé au Lycée professionnel Auguste Perret à Poitiers (Vienne), arrêté dans cette ville puis transféré après garde à vue au CRA (Centre de rétention administrative) de Bordeaux depuis le 9 octobre, comparaît devant le TA. Mineur isolé certes mais aussi orphelin. Il a le soutien de l’équipe pédagogique et de la direction de son lycée, ses camarades se sont mobilisés, la presse locale en a rendu compte.

La juge doit statuer sur la régularité de son enfermement. La demande d’annulation de l’OQTF (obligation de quitter le territoire français) arrive pendant le délibéré, l’audience est remise au lendemain.

Une personne de RESF 33 se trouvait à l’audience.

Mardi 14 octobre- TA audience n° 2
Ils sont deux à attendre la juge. Kamel Nwazou, le lycéen mineur qui comparaît à nouveau ainsi qu’Hamza Hamrouch, un lycéen marocain de bientôt 19 ans. Ce dernier vit à Périgueux (Dordogne, région Aquitaine) avec sa mère et sa s ur aînée qui sont en situation régulière, c’est un élève brillant et sans histoire. Il fait néanmoins, lui aussi, l’objet d’une OQTF .

Pour Kamel Nwazou, son avocat précise qu’il a été arrêté à la suite d’une convocation piège, dont la teneur ne pouvait que faire croire qu’il s’agissait d’un examen de sa demande de titre de séjour. L’avocat contestera la rigueur d’un test osseux pratiqué pour valider la majorité décrétée à des fins « d’éloignement ». On « n’expulse » pas, on « éloigne », subtilité de la langue française ou détournement du vocabulaire pour éloigner des décideurs la violence de leurs actes ? Les deux requêtes seront rejetées par la juge. Le lycéen jeune majeur et le lycéen mineur devront retourner dans leur pays d’origine. Que le mineur soit orphelin, que le jeune majeur ait sa famille à Périgueux, que les deux soient lycéens, qu’importe.

Trois personnes de RESF 33 se trouvaient à l’audience.

Mercredi 15 octobre – audience devant le juge des libertés et de la détention
Le jeune majeur lycéen marocain est absent à l’audience du JLD (juge des libertés). Par contre, ils sont deux mineurs cette fois à comparaître. Kamel, le lycéen camerounais, et un garçon guinéen de 16 ans, N. Diabaté, arrivé depuis peu en France, non scolarisé puisqu’ayant atteint l’âge de la fin de l’obligation scolaire, lui aussi enfermé au CRA depuis le 9 octobre.

Pour les deux garçons, même punition, même motif, ils sont accusés de faux et d’usage de faux. Le procureur de la République de la Vienne, après garde-à-vue, a transformé la sanction pénale en transfert au CRA de Bordeaux afin de pouvoir procéder à des « mesures d’éloignement ». L’expulsion plutôt que la prison. Pour le jeune guinéen, l’accusation de faux et usage de faux semble surréaliste, il n’a aucun papier avec lui. Il ne fait que répéter son âge. Si la parole devient usage de faux… beaucoup pourraient se retrouver en vilaine posture.

Pour Kamel, l’accusation de faux et usage de faux porte sur son acte de naissance, présenté lors des demandes répétées de papiers effectuées depuis son arrivée il y a deux ans. Le quartier de Douala où sa naissance a été déclarée n’existerait pas, le secrétaire de l’ambassade de France ne l’aurait pas trouvé. Il ne figure pas sur une liste qui se trouve un site africain genre Wikipédia, dira l’avocat. Or l’ambassade du Cameroun a pu, elle, le trouver puisqu’elle a délivré, cette même année, à son ressortissant, passeport et carte d’identité.

Refusant les actes d’état-civil, la préfecture accuse avec certitude , s’appuyant sur les résultats des tests osseux, une croyance de vérité scientifique que les juges bordelais ont trop souvent en partage avec les autorités préfectorales. Les croyances ont la vie plus dure que la logique, d’autant plus dures quand il devient opportun de les rendre aptes à servir des causes peu défendables. L’avocat des deux garçons aura beau citer les extrêmes réserves de l’expert en médecine légale commis par la préfecture de la Vienne, rien n’y fera. Ce dernier a même poussé le bouchon jusqu’à utiliser, en ce qui concerne le jeune guinéen de 16 ans, deux tests différents pour en montrer la fiabilité. Selon le premier, celui le plus souvent retenu en cour parce qu’il vieillit systématiquement, le garçon aurait 19 ans (plus ou moins un an), selon un autre seulement 15 ans. Pour Kamel, un seul test a été pratiqué, celui qui vieillit, mais l’expert rappelle que ces tests ont été mis au point sur une population de « type caucasien », soit toute personne issue de l’Europe, et que les utiliser sur des personnes d’autres ethnies en rend le résultat plus qu’aléatoire. Ils sont sans fiabilité. Sans fiabilité certes, mais bien commodes pour qui veut « éloigner » des mineurs du territoire français en les rendant majeurs, histoire de les expulser dans l’apparence de règles. Outre leur commodité, ces tests mis au point dans les années trente, dans un moment d’eugénisme florissant, véhiculent avec eux bien plus que leur scientificité décrétée, ils continuent à porter leur charge idéologique de rejet de l’autre. Il s’agit toujours de s’en servir à l’encontre de personnes d’ethnies de type non caucasien qui dérangent. Si ces deux mineurs restaient en France, ils coûteraient de l’argent à la société, comme l’a pointé l’avocat. D’autant plus que le président du conseil général de la Vienne a écrit qu’il s’engageait à faire reprendre en charge par l’ASE qui s’était défaussée le mineur lycéen camerounais.

Trois personnes de RESF33 se trouvaient à l’audience.

Hamza, le lycéen périgourdin absent de l’audience, a pour sa part, reçu un routing l’informant qu’il serait « extrait » du CRA le lendemain jeudi à 10h et qu’il prendrait l’avion à l’aéroport de Mérignac à 10h 30 pour le Maroc. Il sera libéré du CRA à 18h ce même mercredi, retournera dans sa famille le soir même et au lycée le lendemain jeudi. La chaîne de mobilisation mise en place dès la sortie du TA de la veille a porté ses fruits.

Jeudi 16 octobre – audience en appel devant le juge des libertés et de la détention (JLD).
L’appel devant le JLD se déroule avec une heure de retard, du fait « d’un document important » parvenu le 14 octobre précédent à la préfète de la Vienne et transmis le lendemain à la préfecture de la Gironde. Ce document important selon le représentant de la préfecture s’avère être une lettre de dénonciation anonyme. Des années trente, nous voilà passés aux années quarante. La petite salle où se joue aujourd’hui le sort de deux jeunes africains est presque adjacente à celle de la cour d’assises où s’est tenu le procès Papon et son rappel de nombre de personnes arrêtées trop souvent par dénonciation puis envoyées à la mort. La question du faux et usage de faux ressurgit. Pour N. Diabaté, le guinéen sans aucun papier, l’accusation se justifierait de la manière suivante. S’il avait eu des papiers, comme il se dit mineur, ils n’auraient pas indiqué sa majorité et donc auraient été faux. Propos sinistrement absurdes. Il est répété qu’il pourrait ne pas être guinéen, ce qui n’empêche pas d’envisager son renvoi dans un pays où sévit le virus Ebola. En effet l’« opportunité » juridique soulevée par l’avocat par l’épidémie n’est pas jugée de nature à empêcher ce retour. A-t-il été seulement pensé que si ce renvoi était effectif, il pourrait s’agir de mise en danger de la vie d’autrui, qui plus est, celle d’un mineur ?

Pour en revenir à Kamel Nwazou, le voilà qualifié par la dénonciation anonyme du prénom d’Hermann, il serait âgé de 25 ans, et possèderait une adresse mail qui inclut le prénom Hermann et pas Kamel., le voilà suspecté malgré ou à cause de cela, allez-savoir, de n’être pas camerounais. Le passeport et la carte d’identité délivrés par l’ambassade du Cameroun ne sont pas des faux, les employés de la dite ambassade ont été floués, comme le sont trop souvent, est-il dit, les services préfectoraux, par le jeune homme qui a produit l’acte de naissance qui ne peut pas avoir été délivré là où c’est écrit, le secrétaire de l’ambassade de France au Cameroun l’a dit. Vilain temps pour le personnel des deux ambassades.

La juge renvoie le délibéré au lendemain après-midi.

Trois personnes se trouvaient à l’audience. Deux de la Cimade et une de RESF33.

Vendredi 17 octobre – 15h devant l’hôtel de police de Bordeaux dans les sous-sols duquel se trouve le CRA.
L’avocat vient donner à une vingtaine de militants et militantes inter-associatifs le résultat négatif du juge des libertés. Résultat attendu. L’avocat sort d’un dossier la lettre anonyme arrivée dans le bureau de la préfète de la Vienne le 14 octobre. Lettre anonyme, plutôt mail anonyme envoyé de Douala le 24 avril. Pourquoi n’est-il parvenu sur le bureau de la préfète de la Vienne que le 14 octobre, jour où elle pouvait craindre une annulation de l’OQTF ? Le hasard sans doute.

Il est légitime de se questionner sur les raisons de l’acharnement dont on a fait preuve contre ces deux mineurs venus d’Afrique et de se demander si paradoxalement les raisons de cet acharnement n’étaient pas justement celles qui apparaissent ?

Le consulat de Guinée pourrait, en pleine épidémie, ne pas délivrer de laissez-passer, qui plus est à un mineur. L’ambassade du Cameroun pourrait se trouver dans l’incapacité de fournir, et pour cause, la preuve de la majorité de ce son ressortissant.

Faudrait-il donc voir dans la violence des propos tenus ces deux derniers jours, a contrario, des aveux ? Les instances préfectorales savent bien que ces deux garçons sont des mineurs qui n’ont rien à faire en CRA. D’où la surenchère par des actes honteux – la transmission du mail de dénonciation anonyme -, dans des propos qui tout à la fois dévoient la langue française et arrivent à se prendre les pieds dans le tapis de leurs contradictions, par la croyance en l’exactitude de tests aléatoires, seul moyen de faire dire la vérité souhaitée à défaut de vouloir connaître le réel de vies que l’on gâche.


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