Omar Bongo, Denis Sassou-Nguesso et Theodoro Obiang Nguema sont au c ur d’une affaire judiciaire liée à leurs fortunes et celles de leurs proches
C’est une première en France. La juge du pôle financier de Paris, Françoise Desset, a jugé recevable la plainte de détournement de fonds publics déposée par une ONG et qui vise trois chefs d’Etats africains. Denis Sassou Nguesso, président du Congo, Omar Bongo, président du Gabon, et Teodoro Obiang Nguema, président de la Guinée Equatoriale, sont soupçonnés de posséder à Paris et sur la côte d’Azur des biens immobiliers et mobiliers qui auraient été financés par de l’argent public détourné. Dans la journée de mardi, Françoise Desset, estimait que la justice française devrait enquêter sur la manière dont les trois chefs d’état africains ont constitué un important patrimoine dans l’hexagone (appartements, maisons, voitures de luxe). La décision de la magistrate, attendue depuis mars, fait suite à une plainte déposée en décembre 2008, pour « recel de détournement de fonds publics, blanchiment, abus de bien social, abus de confiance et complicités » par un citoyen gabonais, Gregory Ngnwa Mintsa, et Transparancy international (TI, France), une prestigieuse association de lutte contre la corruption et le blanchiment. La plainte de Gregory Ngnwa Mintsa est rejetée, mais pas celle de TI France. Cette position de la juge française fait déjà l’objet d’une discorde judiciaire en France, discorde qui cache en fait mal l’émergence d’une gêne politique. En effet sa position va à l’encontre de celle du parquet français c’est-à-dire l’instance représentant l’Etat français dans un procès criminel. En effet Le 20 avril dernier le procureur, c’est-à-dire le représentant de l’Etat français, s’était prononcé contre l’ouverture d’une information judiciaire dans l’affaire dite des Biens Mal Acquis(BMA). Le procureur estimait que les plaignants, les associations Transparency International France, Sherpa, ainsi qu’un ressortissant gabonais n’avaient pas juridiquement intérêt à agir.
D’après la chaine de télé TF1 qui rapporte aussi l’information, Me William Bourdon l’avocat des plaignants, aurait cependant salué cette décision qui est sans précédent parce que c’est la première fois qu’une enquête judiciaire est ouverte concernant le détournement d’argent public imputé à des chefs d’Etats en exercice. Est désormais possible l’identification et la poursuite de ceux qui, inlassablement et sournoisement, appauvrissent leurs pays, a-t-il commenté. A ses yeux, la décision met en lumière l’inanité du projet de l’Elysée de supprimer le juge d’instruction. Si le juge d’instruction était supprimé dans ce pays, une telle enquête n’aurait jamais eu une chance d’aboutir. L’appel est probable et le parquet devra alors assumer d’apparaître comme ce qu’il est, le bras armé de la raison d’Etat, a-t-il ajouté. En effet en se prononçant pour la recevabilité des plaintes, la juge fait un premier pas – hautement symbolique – vers une enquête approfondie, confiée à un magistrat instructeur, afin de connaître l’origine de l’argent déboursé en France. Si sa démarche aboutissait, cela ferait une jurisprudence importante pour les questions d’acquisition de patrimoine en France avec l’argent public des pays africains.
La discorde judiciaire qui parait aujourd’hui étonne bon nombre d’observateurs. Bien que la justice française n’accorde pas ses violons sur la démarche à adopter, une enquête aussi vaste que compromettante a été ouverte sur la question. Pour mesurer l’ampleur du scandale BMA, il faut revenir en mars 2007 et au dépôt, à Paris, d’une première plainte. Les poursuites émanent de trois associations: la Fédération des Congolais de la diaspora, Survie et Sherpa, un groupement de juristes. Leur démarche s’appuie en partie sur un rapport du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), intitulé Biens mal acquis… profitent trop souvent. Fort de ces éléments, le parquet demande à l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) d’enquêter. D’après le magazine l’Express, les policiers ont dressé la liste des présidents et de leurs proches, ils ont aussi recensé des adresses françaises, des comptes bancaires, des voitures, et un dossier d’une extrême richesse, au propre comme au figuré a été ainsi monté. Les avocats des personnes impliquées sans nier l’authenticité des découvertes vont plutôt faire de l’ergotage sur les droits de leurs clients. Par exemple comment comprendre qu’un fonctionnaire africain fusse-t-il le plus haut puisse posséder des biens à près de 300 000 Euros ?
Si complètes soient-elles, les investigations ne suffisent pas à convaincre le parquet d’aller plus avant dans les recherches. Le 12 novembre 2007, la plainte est classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée. Sous-entendu: Rien ne prouve l’origine frauduleuse de l’argent ayant permis ces dépenses, dont les intéressés eux-mêmes ne font d’ailleurs pas mystère. Les plaignants ont beau assurer que les présidents ne perçoivent pas des salaires compatibles avec un tel train de vie et que la plupart de leurs proches sont sans profession, le parquet estime, lui, qu’il n’y a pas matière à fouiller. Les dirigeants africains concernés crient au scandale pourtant les faits seraient très accablant. Quoiqu’il en soit avant qu’une information judiciaire soit ouverte, c’est-à-dire avant que la justice puisse enquêter, il va falloir attendre de savoir si le procureur fait appel ou non. On pourrait être fixé d’ici la semaine prochaine, mais pour sûr comme dans un feuilleton télévisé, une nouvelle saison commence avec son lot de rebondissement.
