OpinionsNon classé, Opinions, Tribune




Vie et Mort de Charles Atéba Eyéné: un regard citoyen

Par Eric Kuete Il s'est donc éteint pour toujours un soir du 21 Février 2014. Que doit†on retenir de…

Par Eric Kuete

Il s’est donc éteint pour toujours un soir du 21 Février 2014. Que doit†on retenir de notre Atéba Eyéné national ? La façon dont il a vécu ou la façon dont il est mort ? Jamais mort d’homme n’aura autant ébranlé la République. Quoi que l’on puisse dire sur l’existence et la mort de l’homme, l’histoire retiendra que Charles Atéba Eyéné (C.A.E) n’était pas un vulgaire citoyen. Les multiples hommages qui lui ont été rendus sur les réseaux sociaux et dans les médias à l’annonce de son décès témoignent de sa stature et surtout donnent une idée de la place qu’il occupait dans le c ur des Camerounais. Sa mort est une perte énorme. Une perte d’abord pour sa famille et ses proches à qui j’adresse mes sincères condoléances, mais une perte surtout pour la nation. Dans un style qui lui était propre, C.A.E avait suscité l’espoir chez de nombreux jeunes qui avaient fini par trouver en lui un modèle. Il s’était intronisé capitaine, meneur de troupes ou portevoix d’une jeunesse dés uvrée et sans repères. Sa vie était un combat sans relâche contre les fléaux qui minent la société camerounaise. C’était un homme de parole qui, avec passion et parfois sans méthode, mettait sur la place publique les symptômes d’un Cameroun malade.

Dans une société gouvernée par la peur et la logique de la bouche cousue, C.A.E avait pu sortir de l’ordinaire pour se positionner en « diseur » de la Nation. Sa capacité à vomir les vérités qui dérangent, à attaquer sans pudeur ni mesure certains dossiers sensibles avait fait de lui l’idole, le messie de plusieurs jeunes camerounais. Charles était pour eux l’incarnation de l’espoir, « le sauveur » de la république. A travers lui, beaucoup ont dû se persuader que le pays était au bord du gouffre, que la méritocratie n’était plus le facteur d’ascension sociale. La jeunesse s’exprimait en lui, il était le relais des masses populaires. De sa voix jaillissait le cri de désespoir d’une société essoufflée, les gémissements d’un peuple en souffrance, les plaintes d’une jeunesse en déclin. Il disait tout haut ce que la société avait murmuré, il mettait la lumière sur les choses rendues obscures.

J’ai connu Charles comme la plupart des jeunes camerounais: à travers les médias, ses ouvrages et ses conférences. Je dois avouer qu’il n’était pas mon modèle. J’appréciais son combat, mais je n’étais pas du tout d’accord avec sa façon de le mener. Si j’admirais son courage, j’étais très critique quant à sa façon d’agir. Je m’étais laissé convaincre que sa méthode, loin d’apporter le salut aux Camerounais pouvait à terme déclencher d’autres problèmes plus préoccupants pour la République. Il fut pourtant un homme de talent, doté de qualités exceptionnelles. Il faut être un homme doué pour produire autant que lui en 42 ans d’existence. Vingt-six ouvrages en librairie, ce n’est pas rien. Fussent†ils de mauvais ouvrages. Cela nécessite de l’imagination et même de l’expertise. Il écrivait beaucoup, mais parlait aussi beaucoup. Ecrivait†il bien ? Parlait†il bien ? C.A.E a dû lui†même, affronter à plusieurs reprises ces questions.

Pour ce qui est de ses écrits, de violentes critiques lui furent adressées quant à son style jugé populaire et sa méthode très simpliste éloignée de la rigueur scientifique. Charles faisait du populisme et il ne s’en défendait pas. De son vivant, il n’hésitait pas à faire comprendre à ses contradicteurs qu’un bon écrivain, c’est celui qui écrit pour le peuple. C’était donc un « philodoxe », c’est†à†dire un philosophe de la « doxa », de l’opinion qui penserait mal selon la logique bachelardienne. Pour ce qui est du « parler », C.A.E était un homme à la langue pendante. Son goût prononcé pour le sensationnel le poussait parfois à travestir les faits, n’hésitant pas à les grossir pour susciter de l’émotion. Avec lui, c’était l’apocalypse en permanence. Il ne prenait pas la mesure et le recul nécessaires face à certains évènements. Motivé le plus souvent par ses fans devenus de plus en plus nombreux, il lui arrivait de faire des jugements hâtifs et de tenir des propos difficilement vérifiables. Au moment où ce brillant Camerounais va quitter ce monde pour ne plus jamais y retourner, nous devons surtout garder de lui l’image de quelqu’un qui a certes combattu le bon combat, mais qui, comme tout homme, a commis des erreurs de parcours qui devraient nous servir de leçons.

L’homme n’est pas que parole, il est aussi mesure, réserve et discernement. L’homme aussi n’est pas celui†là qui dit tout, mais celui qui fait tout pour ne dire que ce qui doit être dit. Charles avait « tout dit » de son vivant. Il nous en aurait certainement dit davantage si la mort lui en avait donné la possibilité. Mais la société camerounaise aurait†elle pour autant guéri de ses maux ? Il est mort, laissant notre Cameroun comme il l’a trouvé : pauvre, sous†développé, sans routes, manquant d’eau et d’électricité. Le chômage, les sectes et le magico†anal continuent et continueront de travailler la jeunesse. Je n’irai pas jusqu’à dire que sa bataille a été un combat de Don Quichotte ou de Sisyphe ; un combat qui n’aura servi à rien. Cependant, je pense qu’il ne suffit pas de crier les problèmes d’une Nation sur tous les toits, comme il savait bien le faire, pour que ceux†ci soient aussitôt évacués. Les problèmes, on les affronte, on ne les chante pas.

Le « dire », pour sortir un pays de son marasme doit être accompagné du « faire ». En effet, le « dire » doit provoquer, engendrer le « faire ». C’est ce qui a sans doute manqué à l’ uvre d’Atéba Eyéné. Son « dire » n’a pas beaucoup amené les Camerounais à « faire ». Son « dire » a davantage été énonciatif, informatif que proactif. C’était un « dire » qui, à force d’être monotone avait fini par prendre des allures humoristiques et même distractives. On écoutait Atéba pour se « soulager moralement » et non pour se retrousser les manches et se positionner comme acteur du développement. On l’écoutait pour s’émouvoir et non pour se mouvoir. On l’écoutait pour rire et non pour agir. Mourir pour une cause suffit†il à la faire triompher ? Une chose est sûre, si Charles est mort pour une cause, celle†ci ne triomphera pas si ceux qui vont prendre le relais ne corrigent pas les erreurs qu’il a commises de son vivant.

C.A.E a certainement été d’une utilité pour le Cameroun, mais il aurait dû être plus utile s’il se taisait par moments pour laisser parler son uvre. Il parlait plus que ses ouvrages. Il ouvrait la boîte de Pandore à toutes les occasions. Il manquait toujours l’occasion de se taire. Les vraies luttes n’ont pourtant pas toujours été celles qui font du bruit. Son départ est donc une invite à notre propre conscience. Ses ouvrages ont soulevé des problématiques importantes qui doivent nous interpeller. Mais nous devons inventer une autre façon de les aborder. Les solutions à un problème ne doivent pas devenir elles†mêmes des problèmes. La mort de Charles est une perte, mais c’est aussi une ouverture sur l’avenir. C’est une occasion pour nous de nous pencher sur nos difficultés existentielles, de penser les méthodes adéquates devant nous permettre de les aborder.

Charles est parti très jeune, mais il a d’une manière ou d’une autre imprimé sa marque en ce monde. Quoi que nous regrettions son départ prématuré, nous avons néanmoins la ferme conviction qu’il n’a pas vécu pour rien. Il a choisi son combat et il l’a mené jusqu’au bout, avec la même détermination. Peut-on lui reprocher cela ? Simone de Beauvoir disait que « être Homme, c’est se jeter dans le monde ». Se jeter dans le monde pour résoudre ses contradictions, pour corriger ses injustices. C’est dans le même ordre d’idées que, Etounga Manguelle va nous enseigner que « vivre, c’est se rebeller » (2013). Car nul ne doit se taire devant les fléaux qui rongent l’humanité.

Chacun a le devoir de l’engagement. Je parle de l’engagement au sens où Jean Paul Sartre nous disait que «vivre c’est s’engager ». On ne peut donc pas ne pas s’engager. Etant donné que refuser de s’engager, c’est encore s’engager. Charles s’était engagé, il s’était rebellé, il s’était jeté dans le monde. Même si les méthodes étaient biaisées, la cause était juste. On pouvait ne pas être d’accord avec lui, mais reconnaissons†lui cette ferme volonté qu’il avait de « secouer le cocotier » jusqu’à ce que les fruits tombent. Il nous laisse en héritage, son courage et son amour pour son pays. De là où il va désormais reposer, qu’il sache qu’il a fait son job à sa façon. Reste à ceux qui l’ont aimé de se mettre au travail pour le bonheur de la Nation. C’est le meilleur hommage qu’ils peuvent lui rendre.
Paix à ton âme Dr Charles Atéba Eyéné.

Charles Ateba Eyene
Droits réservés)/n