SociétéSociété, Société




Yaoundé : Débat sur le nombre de morts de l’accident de train

Les populations du quartier Oyack (Elig-Edzoa) parlent de six morts, alors que Camrail avance un bilan de trois personnes décédées…

Les populations du quartier Oyack (Elig-Edzoa) parlent de six morts, alors que Camrail avance un bilan de trois personnes décédées et deux blessés

Ils sont là. Tous, le regard figé sur le rail, à scruter un bout d’os humain. Les restes oubliés  d’une victime de l’accident de train survenu hier, 08 mars 2017, au quartier Oyack (Elig-Edzoa) à Yaoundé. Tout autour de l’endroit où le train a fait des victimes, les populations sont réunies en petits groupes et discutent. Un seul sujet à l’ordre du jour : les morts du rail. Ils connaissaient peu ou pas les défunts, mais rester là, à regarder, à deviser, est leur manière de porter le deuil.

Tout s’est passé en début de soirée hier. Christian Moussi, jeune du quartier Oyack, raconte que « nous avons organisé un match de football entre les femmes de deux associations à l’occasion de la journée de la femme. Le match venait de s’achever lorsque nous avons été alertés par des cris ». En fait, Un train de travaux de la société Camrail rentrait du chantier de renouvellement de la voie à l’entrée de la ville de Yaoundé. L’engin venait en marche arrière. C’est ainsi qu’il a percuté des personnes qui se trouvaient sur la voie ferrée. D’après la Camrail, ce train a tué trois personnes et en a blessé deux.

Les habitants du quartier Oyack contestent ce bilan. Christian Moussi dit avoir pu compter six corps. De nombreux autres témoignages recueillis sur le terrain avancent le même nombre. Pour éviter les tracasseries, certaines familles sont venues récupérer les cadavres identifiés comme des leurs, avant l’arrivée des secours. Ce qui, d’après Christian, a tronqué les constats énoncés par la société de transport ferroviaire. En revanche, ce dont on peut être sûr, c’est que les victimes sont de nationalité centrafricaine et tchadienne. Daouda, l’un des blessés (de nationalité camerounaise), est soigné par la médecine traditionnelle en ce moment. D’après Etienne, son frère, il a été touché au niveau de la poitrine et le train a amputé son bras droit. « On était ensemble au niveau du terrain de football. Il m’a dit qu’il traversait pour nous acheter de la viande grillée. Il a à peine eu le temps de traverser que le train a arraché son bras. J’espère qu’il ira mieux. On s’est parlé tout à l’heure au téléphone », témoigne Etienne.

Un mal pour un bien ?

Ce jeudi 09 mars donc, Oyack s’est réveillé dans le deuil, envahi dans leur quotidien par la police et une horde de journalistes, tous curieux d’en savoir plus sur l’accident de la veille. Les habitants du quartier, eux, semblent choqués mais pas surpris. Ce type d’accident est récurrent, cependant il n’a jamais tué que des bêtes. Il est arrivé que des hommes soient percutés sans pour autant perdre la vie. C’est du moins ce que croit savoir Christian Moussi, né et grandi dans le quartier.

Un véhicule arrive. La foule agglutinée sur la voie ferrée et autour s’éloigne en courant. Le traumatisme est bien trop récent pour risquer de mourir aussi. « Restez encore ! », ironise un adolescent. Les conducteurs de l’engin prennent quelques quolibets au passage. Les jeunes du quartier sont en colère. Mais contre qui ? Ils pointent les tenanciers de bars situés à deux pas de la voie ferrée. « Tous les jours, ils mettent le volume de la musique de manière à couvrir le bruit des klaxons du train.  Si quelqu’un est pris dans l’ambiance, le temps qu’il se rende compte qu’il est sur la voie ferrée, il est trop tard. Je pense que c’est ce qui s’est passé », décrit Edouard T. Justement, ce matin, tous les bars des environs sont fermés. Inhabituel !

Pour Djibril O., ce drame sera un mal pour un bien. En fait, Tchadiens et Centrafricains (très nombreux dans le quartier) ont l’habitude de se retrouver tous les dimanches pour faire la fête en communauté. Ils occupent alors la voie ferrée et tous ses environs pour manger, boire et danser. Ils sont conscients du risque mais préfèrent en faire fi. Ce drame leur servira de leçon, espère Djibril. La tolérance administrative n’aide pas non plus à prévenir ce genre d’accident. A Oyack, maisons d’habitation et autres lieux de commerce tutoient la voie ferrée, au mépris des règles de sécurité. L’anarchie observée à proximité du chemin de fer est proscrite. Mais, de nombreuses personnes ont occupé le domaine de la Camrail, qui ne les déloge pas. Après ce drame, l’entreprise remettra peut-être la question sur la table.

En cette matinée, Christian Moussi, lui, est frappé par l’insensibilité de certains voisins. L’air de rien, face au sang des morts dissimulé par l’eau ou le sable, des commerçants mènent sereinement leurs activités. Un vendeur de sandwich est à un pas de l’os scruté. Une vendeuse de beignets reçoit des ouvriers affamés qui mangent sans quitter leurs plats des yeux. Simple manière de narguer la mort sans doute…